Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent

 

Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent


Ecrit par François Szabowski

Publié le 1er mars 2012 aux éditions Aux Forges de Vulcain.

Format 13 x 20 cm, 292 pages.

 


 

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Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent suit les aventures rocambolesques d’un jeune homme qui, convaincu par les idées de son temps que l’homme n’obtient sa dignité que par le travail, décide de réussir par tous les moyens à décrocher un emploi, aussi abrutissant soit-il. Sa bêtise et sa mesquinerie, doublées d’un art consommé de l’intrigue, provoquent une série de catastrophes qui l’amènent à revoir ses ambitions à la baisse, et le poussent in fine à explorer tout l’éventail du parasitisme, en profitant sans scrupule de la naïveté de son entourage.


Portrait d’un Candide à l’innocence feinte, Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent est le tome 1 du roman-feuilleton Le Journal d’un copiste, dont il regroupe les 180 premiers épisodes.

 

 


 

J’ai adoré ce roman tout à fait original de par sa forme et son histoire ! En effet, Les Femmes n’aiment pas les hommes qui boivent, également dénommé Le Journal du copiste, fut initialement publié sous la forme d’épisodes journaliers que François Szabowski écrivait en s’inspirant d’une expérience professionnelle qui ne devait durer que deux mois. Il s’agissait donc d’une courte fiction, s’inspirant de la réalité tout en la déformant à loisir et qui divertissait agréablement son auteur. Cependant, au terme de son expérience professionnelle, ce dernier a réalisé que le personnage qu’il avait créé lui plaisait beaucoup et a décidé de poursuivre l’écriture de son journal, qui est aujourd’hui devenu un roman enthousiasmant ! Ce roman, respectueux de ses origines, se présente donc sous le forme de courts épisodes qui ensemble composent le journal de François Chabeuf, un homme dans la force de l’âge pour lequel l’expression « le travail, c’est la santé » est, plus qu’une philosophie, un véritable art de vivre ! Ces épisodes sont intitulés avec originalité et intelligence, et plus que de simples repères, ce sont des éléments intrinsèques au récit et qui participent à sa construction, je cite à titre d’illustrations : « Si la porte est fermée, il ne faut pas hésiter à donner un coup d’épaule » ou encore « La vie est un cauchemar dont on se réveille tous les matins en arrivant au travail ». Outre ces intitulés pittoresques, le lecteur découvre tous les dix épisodes un rappel des épisodes précédents très savoureux car François Szabowski parvient à se reformuler avec élégance et à résumer brillamment les événements récents. Toutefois, ces derniers sont très souvent exagérés, dramatisés ou interprétés avec une mauvaise foi évidente : ainsi, même ces résumés en apparence anodins et fonctionnels participent au récit et permettent au lecteur de mieux cerner le personnage de François et surtout le cheminement de ses pensées. 


Quelle complexité que ce François Chabeuf, qui est à la fois le narrateur et le personnage principal de ce roman ! J’ai adoré ce personnage extravaguant et original, tour à tour irritant, sympathique, effrayant, fatiguant et hilarant : il est une caricature particulièrement réussie de l’être humain et, surtout, de ses défauts. Travailleur émérite et d’une assiduité irréprochable, François n’a d’autre but dans la vie que d’accomplir quotidiennement son labeur. Il est copiste et savoure son récent contrat de travail, qu’il espère prolonger par un contrat à durée indéterminée. 


« J’ai peine à croire qu’un tel bonheur soit possible et pourtant c’est bien la stricte vérité. Il y a des moments dans la vie d’un homme où le désespoir et l’échec, pendant de longues années, s’attachent au moindre de ses pas, et puis un jour soudain il y a des orages et des éclairs et le bonheur survient. D’un seul coup, tout s’arrange et on devient heureux. Du jour au lendemain. Je sais bien évidemment qu’il ne s’agit sur le papier que d’un contrat à durée déterminée, mais déjà, à l’entretien, on m’a laissé entendre qu’il avait vocation à être renouvelé, et déboucher à terme sur un poste pérenne. Ce travail semble tellement taillé pour moi que je vois mal comment le CDI pourrait m’échapper. »


Hélas, dans la vie rien n’est acquis et très vite il est confronté à un collègue et adversaire, nouveau salarié lui aussi et candidat au poste convoité. Désespéré par la situation, François va se démener pour écarter son rival : c’est le début d’une série d’aventures rocambolesques et pleines d’humour, à la fois absolument incroyable et d’un réalisme inquiétant. Je n’en écris pas plus afin de préserver le mystère du roman et de ne pas gâcher l’humour qui s’en dégage !


« Auguste s’est mis à gémir et cela rend la situation difficile. J’ai réussi à trouver un vieux matelas dont je l’ai couvert pour étouffer ses lamentations, mais le bougre a du coffre et cela n’arrangeait rien. Je lui ai fait faire ses besoins et je lui ai donné une ration supplémentaire de sucre, il a bu abondamment mais n’a rien voulu savoir et a réclamé d’être mis en liberté. Les cris ont repris et j’entendais des pas dehors, je n’ai pas eu d’autre choix que de parlementer – après tout, une absence non justifiée d’un jour et demi était amplement suffisante. Tout en desserrant ses liens, et alors qu’il se mettait à geindre en menaçant de me dénoncer à la direction ou même à la police, j’ai souri et je lui ai demandé s’il avait envie que je révèle à cette même « direction » qu’il profitait de la complicité des femmes de ménage pour pénétrer dans les locaux avant 8 heures, ce qui est non seulement formellement interdit, il n’était pas sans le savoir, mais surtout durement réprimé. (…) Il avait déjà pâli et ne geignait plus, mais j’ai préféré enfoncer le clou, d’un coup de bluff de génie, en mentionnant d’un air entendu ses « magouilles du bureau des fournitures ». J’avais touché juste : il s’est mis à trembler et m’a avoué les larmes aux yeux avoir subtilisé plusieurs crayons de couleur. Il m’a expliqué en sanglotant qu’il aimait dessiner et que c’était son hobby mais j’ai coupé court. Je l’ai pris dans mes bras, et, tout en caressant ses cheveux, sa joue contre mon épaule, j’ai essayé de lui faire comprendre qu’on n’arrivait à rien par le mensonge et la dissimulation, et que, si on n’aimait pas travailler, ça ne servait à rien de faire semblant. Il valait mieux rester chez soi. »


J’ai tiré un grand plaisir de ma lecture car, outre l’humour que j’ai vraiment apprécié, le roman mélange différents genres littéraires : à la fois satire sociale, roman d’aventures ainsi qu’oeuvre de fiction ancrée dans la réalité et agrémentée d’un soupçon d’intrigues policières, il s’agit d’un exercice de style très réussi et fort distrayant. Alors que les romans actuels se classent sagement dans des catégories et veillent à ne pas mélanger les genres, Les Femmes n’aiment pas les hommes qui boivent déroge à la règle pour notre plus grand plaisir ! Ainsi, contrairement aux romans très réalistes qui finissent par nous ennuyer tant il rappelle notre quotidien, ce roman distille de la fantaisie et de l’aventure dans le quotidien banal d’un homme ordinaire. La critique est implicite et très amusante, car il est impossible de ne pas se reconnaître au moins une fois dans ce personnage tout à la fois menteur, manipulateur, d’une incroyable mauvaise foi et pourtant très innocent ! Ainsi, alors qu’il ne songe qu’à s’exercer à l’écriture afin d’améliorer sa qualité de travail, et encombre de ce fait l’appartement qu’il partage avec Clémence de détritus et autres immondices, Clémence qui travaille à temps plein lui demande très gentiment s’il veut bien avoir l’amabilité, de temps en temps, de faire le ménage : vexé et humilié, François s’enferme dans son bureau les larmes aux yeux. Quelques jours plus tard, il écrit : « Depuis son rétablissement psychologique et sa réinsertion dans le monde du travail, Clémence est devenue un potentat sans coeur et me réduit à un état de domestique esclave. » Dans cette perception exagérée des faits apparaît en réalité l’humiliation vécue par François et son désir inconscient de se justifier à ses propres yeux en accusant Clémence. N’est-ce pas une réaction très humaine ? A ce sujet, François Szabowski explique dans les réponses qu’il donne aux lecteurs que, « …bien qu’il soit un personnage de fiction, François Chabeuf pourrait exister. Peut-être pas sous cette forme si extrême. Mais ses mécanismes mentaux sont, je crois, très répandus, pour ne pas dire présents chez tous. Ce qui m’intéressait dans ce personnage, c’était de montrer la façon dont l’être humain se « reprogramme » en permanence par le langage. Comment, face aux événements qu’il traverse, subit, ou face à ses actes, il produit du langage pour rendre le réel supportable. Cela englobe autant le fait de se « justifier », de rejeter la faute sur l’autre – ou ce qu’on appelle communément la « mauvaise foi » – que la « sagesse ». Dire, par exemple, après une séparation, que l’autre est un ****, ou que « de toute façon nous n’étions pas faits pour être ensemble », sont à mon sens deux manières de nous reprogrammer par le langage, pour nous aider à vivre cette situation. Je pense que nous le faisons, à des degrés divers, consciemment ou inconsciemment, plus ou moins en permanence. »


Les Femmes n’aiment pas les hommes qui boivent est donc un roman aux multiples facettes et de plus, très bien écrit. L’écriture de François Szabowski, qui devient par le choix narratif de ce dernier l’écriture du personnage principal, est très étudiée et participe pleinement à la construction de celui-ci. Par exemple, le vocabulaire soutenu et parfois désuet s’accorde parfaitement avec le caractère pudibond et moralisateur de ce personnage qui se pense intègre. Par ailleurs, l’ensemble du texte est très fluide et malgré la complexité du personnage, le récit n’est jamais confus mais au contraire pleinement maîtrisé. Si vous n’êtes pas encore convaincu de l’intérêt de lire ce roman, sachez que l’intervention d’un chat dénommé Roger donne au récit une force désopilante irrésistible ! 


« Bien qu’estomaqué encore par l’aventure, je suis assez admiratif de la bravoure avec laquelle j’ai géré la séquestration dont j’ai été victime hier de la part de la propriétaire. Il est indéniable, décidément, que j’ai tout au fond de moi une âme de guerrier. Il faut aussi – et c’est mon cas – avoir le sens du sacrifice, car il est bien évident que c’est pour protéger le chat Roger que j’ai consenti tous ces efforts, et à chaque fois hier que je revenais en pensée vers Roger, cet animal démunie, physiquement débile et intellectuellement limité, qui passe ses journées tapi dans la terreur, je sentais monter en moi de nouvelles forces qui m’aidaient à supporter mon sort. Je ne faisais pas tout cela en vain. »


Je vous recommande donc vivement la lecture de ce très bon roman-feuilleton, à la fois ludique et très sérieux, qui permet de se divertir joyeusement grâce à une histoire originale ainsi qu’une écriture de qualité. Je remercie par ailleurs les éditions Aux Forges de Vulcain de prendre le risque de publier des ouvrages innovateurs et des écrivains peu connus, ainsi que de s’attacher à doter la littérature française de plus d’imagination et de liberté.


En juin 2013 sortira le second volume des aventures de François Chabeuf, intitulé Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures de cœur. Hâtez-vous donc de lire Les Femmes n’aiment pas les hommes qui boivent afin de ne pas manquer ce second rendez-vous très prometteur si l’on en juge d’après l’enthousiasme de David Meulemans, directeur des éditions Aux Forges de Vulcain !


« Je fais tout bien entendu pour le protéger, mais c’est un fait que je ne peux pas être sans cesse à ses trousses, et comme Clémence de son côté est sur le qui-vive, le chat Roger vit actuellement des moments bien difficiles. Clémence ayant en effet mis à exécution son infâme projet d’oppression du félin, elle inflige au chat terrorisé de longues séances de douche au moindre miaulement, et l’animal jette des regards éperdus dans la pièce depuis le refuge que je lui ai installé dans un cageot en haut de la bibliothèque. L’appartement est certes à peu près rangé maintenant et il a donc une plus grande liberté de mouvement, mais ces scènes de cruauté gratuites me déchirent le coeur et blessent mes sentiments de chrétien. N’y tenant plus, j’ai rappelé à Clémence que nous étions le 25, que Noël était un jour de fête pour les enfants et les êtres faibles, qui devait être considéré comme une période de trêve, et que le chat Roger, eu égard au bouleversement psychologique que représentait pour lui le déménagement à Paris, avait droit pour l’occasion à un peu de tendresse et de réconfort. »


Je remercie sincèrement l’équipe de Libfly ainsi que les éditions Aux Forges de Vulcain pour cette nouvelle édition de l’opération « Un éditeur se livre », grâce à laquelle j’ai pu découvrir une interview très enrichissante de David Meulemans et qui me permet, ainsi qu’à cinq autres lecteurs, de découvrir une sélection de leurs ouvrages.