Le Horla

Illustré par Guillaume Sorel,

D’après l’oeuvre de Guy de Maupassant,

Publiation le 12/03/2014 aux éditions Rue de Sèvres,

64 pages, 15€.

 

Le Horla est le titre d’une nouvelle de Guy de Maupassant écrite en 1887. Dans ma version poche du recueil de nouvelles homonyme, cette nouvelle tient en 31 pages – un texte court donc, mais diablement efficace ! 

La plume est agréable, fluide et aérée, ainsi l’on se laisse dès les premières lignes absorber par l’intrigante histoire de ce noble « Monsieur » qui se croit tout d’abord malade, puis insomniaque et finalement fou, avant de comprendre qu’un être invisible à ses yeux vient d’élire domicile sous son toit. Agressé chaque nuit par ce parasite, notre personnage ne trouve plus le repos et connaît tour à tour l’angoisse, la peur paralysante, puis enfin la colère folle. Que faire contre ce démon ? Cet être semble supérieur à l’Homme et se nourrir de celui-ci ; voleur d’âme ou d’énergie, il peut contrôler le corps des êtres humains et en disposer à sa convenance ! Il est terrifiant. Il semble invincible. C’est le Horla.

Guillaume Sorel propose une superbe version illustrée de ce classique de la littérature française.
Publiée chez Rue de Sèvre, cette bande-dessinée grand format est très agréable à découvrir grâce à des planches de grande taille d’une belle qualité visuelle, habillement disposées sur des pages épaisses que l’on prend plaisir à tourner et à examiner. 

Le point fort de cette adaption réside bien entendu dans la beauté de ses illustrations. Guillaume Sorel a choisi de mettre en évidence l’aspect lumineux du Horla plutôt que la sombre folie qui y règne, soulignant la part de lucidité du personnage et ses efforts pour survivre au-travers d’illustrations pleine de clarté, ensoleillées, où la Nature trouve bien souvent sa place. Ainsi, les paysages de Normandie sont très doux et reposants, de même que le Mont St Michel qui apparaît dans sa mystérieuse splendeur, son architecture baignée de soleil.
Les ombres sont très étudiées, ainsi le personnage principal possède un visage très expressif sur lequel transparaissent avec intelligence ses émotions. Le Horla, surtout, est un plaisir à regarder. Les représentations de ce démon-fantôme collent vraiment au texte original et c’est un régal de découvrir ce que les yeux de lecteur de Guillaume Sorel ont vu au-delà des mots de Maupassant.

                                                                                             

Cependant, et c’est là le seul trait négatif de cette adaptation libre du Horla, les émotions sont beaucoup moins intenses que dans l’oeuvre originale.

Les illustrations ne sont pourtant pas en faute : l’angoisse est lisible dans les yeux écarquillés du personnage, ses interrogations inquiètes s’expriment dans la position de ses doigts recroquevillés, la sueur qui perle sur son front rend palpable le sentiment de panique qui le possède, et tout son corps semble vieillir au fil des pages, comme affaibli par tant de pensées inquiètes et affolées.

Ce serait plutôt le nombre restreint de paroles qui serait cause de ce manque de profondeur. En effet, Maupassant a choisi une narration refermée sur elle-même, par le moyen d’un journal intime qui explore jour après jour la profondeur des émotions ressenties par le personnage : se pose alors la question de l’adaptation complexe de ce dialogue interne en images.
Guillaume Sorel a imaginé de mettre en scène le chat du personnage, félin dont les instincts naturels lui font pressentir les tragédies à venir, pour instaurer un mince dialogue entre le maître et son compagnon de fourrure, brèves paroles révélatrices du désarroi et de l’anxiété montante du personnage. Bien que ce soit assez pour donner vie à  ces pages colorées, c’est hélas trop peu pour permettre au lecteur de saisir l’intensité et la complexité des sentiments qui habitent le personnage. De ce fait, la bande-dessinée paraît un peu creuse, il y manque cette profondeur que l’on trouve dans chaque ligne écrite de la main de Maupassant. 

Cette bande-dessinée n’en demeure pas moins extrêmement intéressante. Guillaume Sorel n’a pas seulement mis en images Le Horla de Maupassant, il l’a modifié, ré-interprété pour le rendre accessible visuellement. Ceci permet notamment un joli travail de comparaison et de réflexion entre le texte et l’image, une manière sympathique de compléter une lecture agréable. Par ailleurs, Guillaume Sorel a choisi de souligner le thème du suicide tout en diminuant la folie qui s’accapare du personnage, modifiant en conséquence la fin de la nouvelle : là encore, on peut s’interroger sur ces choix narratifs et s’offrir quelques instants de réflexion sur la capacité du lecteur à s’approprier entièrement un texte jusqu’à en faire lui-même évoluer les personnages.

Ainsi, si cette adaptation ne remplace pas la lecture du texte original de Guy de Maupassant, elle permet de mettre agréablement en images les thèmes abordés par Le Horla et incite le lecteur à réfléchir non seulement à la portée de ces thèmes, mais également au processus d’adaption. Un bel ouvrage !

Je remercie Gilles Paris pour sa confiance, ainsi que les éditions Rue de Sèvre pour cette redécouverte si agréable d’un classique de la littérature française.