La bête

Ecrit par Catherine Hermary Vieille,

Publié aux éditions Albin Michel – Collection littérature française,

Broché, 160 pages – 15 € .

(Résumé personnel)

En Gévaudan, au XVIIIème siècle, la forêt est une ombre épaisse, vivante et peuplée de mystères.

La Besseyre-Sainte-Marie est un petit village perdu quelque part dans cette sombre verdure, un village d’éleveurs et de croyants qui mènent une vie de dure labeur pour de rares plaisirs largement mérités.
Dans ce village, le père Chastel impose sa différence. Craint et respecté, on ne sait s’il appartient à Dieu ou au Diable, cependant tous apprécient sa science – car lui seul sait soigner les maux, guérir les blessures, ressouder les os brisés. Cet homme étrange a deux fils, l’un agriculteur, l’autre garde-forrestier. Ce second, Antoine, se nourrit de rêves : partir pour le Sud, trouver la Mer scintillante, rencontrer des femmes douces et offertes – lui qui n’en a jamais approchées. Il voudrait plaire, faire fortune et revenir dans son village enorgueilli.

Cependant, la réalité s’impose un jour à tout rêveur – aussi, lorsqu’il s’engage sur un navire marchand dans l’espoir de trouver un pays de Cocagne, le pauvre bougre se fait capturer par des pirates et se voit réduit à l’état d’esclave pour le dey d’Alger. Malgré les conseils d’un vieux esclave reconvertit à l’Islam, Antoine refuse d’accepter ce pays et de renier ses racines. En silence, il obéit – haissant chaque jour davantage ses geoliers.

Un jour, sa colère dérape, le sang coule : il doit être condamné à mort. Cependant, le dey a besoin de lui pour soigner ses animaux exotiques, aussi intervient-il en sa faveur – non, l’esclave ne sera pas tué. Il sera castré. Antoine hurle, pleure, maudit, supplie – subit.

Vivant, il ne supporte plus sa condition. Il poursuit son existence tel un fantôme, se levant chaque matin pour retrouver ses bêtes qu’il aime et soigne de son mieux. Un jour cependant, au détour d’une promenade, Antoine rencontre un matelot français sur le port et lui raconte son histoire – heureuse coïncidence, ce compatriote est originaire de sa région ! Emu par cette rencontre, le Français ne peut se résoudre à l’abandonner à sa condition d’esclave. Ainsi, le soir venu, Antoine embarque discrètement sur son navire et quelques jours plus tard, il atteint le port de Marseille. Seulement, il n’est plus le même homme. A Alger, on lui a volé plus que sa liberté et tous devront payer ce plaisir volé, sa liberté gâchée, sa vie détruite. En Gévaudan, la légende va commencer.

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Catherine Hermary Vieille offre par ce roman une nouvelle version du mythe de la Bête de Gévaudan. Cette légende bien connue cache un fait divers atroce, attesté par de nombreux documents historiques qui dénombrent plus d’une centaine de victimes affreusement agressées, démembrées et dévorées entre 1764 et 1767. Certains lecteurs ont crié au scandale à la lecture de La Bête car ce roman ne relate pas la vérité, par exemple le personnage d’Antoine diffère du véritable Antoine de Chastel qui ne connut pas le tragique destin décrit ici par la romancière. En effet, Catherine Hermary Vieille a choisi de reprendre une ancienne version de la légende, depuis largement réfutée par les enquêteurs, et de la ré-écrire avec les yeux du présumé meurtier. Ainsi, ce n’est pas l’aspect terrifiant du roman qui est défendu, puisque cette approche a le désavantage de supprimer tout le mystère lié aux agressions, mais sa profondeur psychologique, car Catherine Hermay Vieille invite le lecteur à pénétrer un esprit meurtri, torturé par la souffrance et l’injustice. Comment la folie meurtrière peut-elle accaparer l’esprit d’un homme ? Pourquoi tuer, et tuer encore ? Le lecteur accompagne cet homme dans les ténèbres et le voit lentement devenir une bête, un être sauvage dominé par ses pulsions et son besoin de vengeance.

Ce sujet intéressant est malheureusement desservi par une plume sèche et brutale qui ne prend pas le temps nécessaire pour recréer l’ambiance de ce XVIIIème siècle. Les paysages de Lozère, que l’on imagine très beaux et sauvages, sont décrits de ci de là en quelques phrases dénuées de poésie, aussi peu agréables à lire que le reste du récit. Par ailleurs, Catherine Hermary Vieille explore plusieurs années de l’existence d’Antoine en seulement 150 pages – un rythme très rapide donc, pour ne pas dire effréné, presque lapidaire. On ressent cruellement la précipitation de l’auteur, son désir d’accélerer les faits pour atteindre ce qui l’intéresse vraiment : les premiers meurtres. Alors seulement le récit semble ralentir, la plume respirer, à tel point qu’il semble que l’auteur prend un véritable plaisir à s’adonner à un érotisme morbide, décrivant avec perversité les corps inanimés.
Dès lors, le plus difficile dans cette lecture est sans aucun doute le cruel déséquilibre dont souffrent les descriptions. En effet, l’auteur se contente d’évoquer brièvement la vie des villageois, leurs rapports sociaux ainsi que les conditions extrêmes d’une existence en autarcie au milieu des montagnes, alors qu’elle s’attarde longuement sur les corps déchirés, décapités, ensanglantés, s’attachant à décrire avec précision les blessures et les corps des victimes. Une narration étrange, pour ne pas dire dérangeante.

En outre, les explications psychologiques de Catherine Hermary Vieille finissent par lasser, à tel point que l’on s’interroge sur leur perspicacité. En effet, l’auteur énumére à plusieurs reprises les émotions terribles ressenties par Antoine, toutefois elle n’explore pas la profondeur des ténèbres qui entourent ce pauvre homme ; pire, à mesure que la folie mentale s’accapare d’Antoine, les explications de ses maux diminuent. Au fil des pages, Antoine devient un personnage terrifiant, peu approfondi, dont le lecteur ne connait que les désirs et les gestes meurtriers. Progressivement, ses violentes pulsions sexuelles et nécrophages deviennent les seules explications valables à ses gestes, et l’on a le sentiment de relire à chaque page les même scènes sadiques, de prendre part à cette perversité atroce. Dès lors, le plaisir de lire disparaît et l’on poursuit cette lecture uniquement parce que l’on se sent proche de la fin.

En conclusion, le sujet de ce roman est intéressant, il est cependant desservi par une plume maladroite que guident des choix narratifs malheureux. L’ensemble m’a paru malsain, presque écoeurant. La légende excuse en partie la perversité ignoble de ce récit, puisque les enquêteurs modernes ont démontré qu’un serial killer agissait dans l’ombre de la Bête du Gévaudan, cependant j’espérais de Catherine Hermary Vieille un récit bien mieux écrit et qui ne céderait pas à la facilité d’une explication uniquement basée sur de la frustration sexuelle. La bête est une déception. 

Je remercie Gilles Paris et les éditions Albin Michel pour leur confiance.