La Tombe des lucioles

La Tombe des lucioles


Ecrit par Akiyuki Nosaka en 1967 et 1968.

 

 

 

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Quatrième de couverture : 


C’est avec ces deux récits admirables et particulièrement bouleversants, couronnés en 1968 par le prix Naoki, l’une des plus hautes distinctions littéraires, que Nosaka conquit la notoriété. Peu de temps auparavant, Mishima avait applaudi à son premier roman : Les Pornographes, roman scélérat enjoué comme un ciel de midi au-dessus d’un dépotoir. La Tombe des lucioles, visionnaire et poignant : l’histoire d’un frère et d’une soeur qui s’aiment et vagabondent dans l’enfer des incendies tandis que la guerre fait rage et que la faim tue. Voici une prose étonnante, ample, longue, proustienne dans le sens qu’elle réussit à concentrer en une seule phrase des couleurs, odeurs et dialogues, mais prose très violente, secouée de mots d’argot, d’expressions crues, qui trouvent ici une beauté poétique et nouvelle, d’images quasi insoutenables – prose parcourue d’éclairs.

 

 

 

La Tombe des Lucioles se présente comme un recueil de deux nouvelles : La Tombe des Lucioles et Les Algues d’Amérique.


> La Tombe des Lucioles


D’une qualité remarquable, cette nouvelle d’une quarantaine de pages est bouleversante. Je sors de cette lecture heureuse, car j’ai découvert un excellent texte. Mais j’en sors également meurtrie, happée par la violence des bombardements et de leurs conséquences dramatiques. Je lisais ce texte et les mots s’effaçaient : j’entendais les bombes, j’entendais les pleurs, je contemplais les victimes de cette guerre. Je voyais deux enfants, perdus dans cet amas de bruits, de ruines, cet amas d’horreur. 


Les premières pages nous présentent un homme qui n’en est déjà plus un. Agonisant dans sa saleté, dans sa puanteur, sur le sol d’une gare, la vie s’échappe peu à peu de ce misérable individu – et déjà les passants ne le voient plus. 


« Mais déjà la faim n’était plus, la soif n’était plus, la tête pendait lourdement sur la poitrine, « Pouah, c’est dégueulasse! », « Ptêt ben qu’il est mort », « Quelle honte, laisser traîner ça dans la gare alors qu’les Américains peuvent arriver d’une minute à l’autre », ses oreilles qui seules tenaient encore à la vie pouvaient distinguer toute une variété de bruits (…) »

 

S’ensuit une analepse de quelques mois, un retour en arrière nécessaire pour comprendre ce qui a placé ce jeune adulte dans une situation si tragique. 


La plume de l’auteur pourrait évoquer celle de Proust. Les phrases sont longues et d’une richesse incroyable. Et pourtant, elles m’ont parue trop courtes. Car en une seule phrase il y a tant de violences, de souffrances, d’espoirs que l’on se sent presque agressé. Le lecteur est pris au piège de cette guerre. La traduction est magnifique, car Patrick De Vos est parvenu à rendre avec justesse à ce texte son vocabulaire travaillé, les adjectifs collent à la réalité et le langage des protagonistes – souvent rude et sans détour – est le miroir de cette réalité : 1945, les bombardements près d’Osaka, au Japon. 


Et lorsque dès les premières pages, le lecteur apprend le funeste destin des deux enfants, le ton est donné. Lire la suite, c’est découvrir les tourments de la guerre et les tentatives de ces deux gosses pour survivre malgré les bombardements, malgré les destructions, malgré la perfidie et la noirceur humaine.


« Ils étaient habitués aux ténèbres du black-out, mais la nuit de la cave était bien plus noire encore; quand ils se glissèrent sous la moustiquaire accrochée aux tais, ils n’eurent plus qu’à s’en remettre au bourdonnement étourdissant des moustiques pullulant à l’extérieur, d’instinct ils se blottirent l’un contre l’autre, Seita serrant les pieds nus de Setsuko contre le bas de son ventre, une fièvre monta soudain en lui, lancinante, il ressera encore son étreinte, « Tu m’fais mal, Seita! », elle était terrifiée. »



> Les Algues d’Amérique


Bien que l’écriture soit toujours de qualité, et le style ainsi que le vocabulaire tout à fait adaptés au contexte, le schéma narratif de cette seconde nouvelle est très différent de la précédente : il s’agit d’une nouvelle brillamment écrite, mais j’ai éprouvé des difficultés à la terminer, voire à m’y intéresser dès les premières pages.


En résumé, il s’agit d’un couple de japonais ayant vécus la guerre de 45 alors qu’ils étaient adolescents : les blessures psychologiques de Toshio, l’époux, ne sont pas tout à fait guéries et il ne peut vivre sans repenser aux épisodes douloureux de son passé. Son épouse, Kyoko, vit au présent et n’aime absolument pas évoquer les traumatismes de son pays. Lors de vacances à Hawaï avec son enfant, celle-ci a rencontré un couple d’américains aisés qui se sont montrés très généreux. Lorsque ces américains, les Higgins, vont s’inviter au Japon, Kyoko ne se sentira plus de joie : apprentissage accéléré de l’anglais, nettoyage et rangement de la demeure, achats démesurés de nourriture, mise en place d’un emploi du temps touristique pour ses bienfaiteurs : rien ne sera trop beau. Toshio vivra très mal ces préparatifs : alors que ses souvenirs l’obsèdent, il va également éprouver de la colère face à l’arrivée imminente du couple. Cependant, à l’aéroport, cette colère et son obstination de ne pas prononcer un seul mot en anglais se transforment en peur : M. Higgins parle et comprend très bien le japonais ! Honteux, Toshio, qui ne s’attendait absolument pas à cela, se jette sans réfléchir dans la conversation et aligne quelques mots d’anglais… Finalement, il passera ses journées avec l’américain, souhaitant à tout prix – au sens propre et figuré ! – lui prouver que le Japon est un beau pays. 


Malgré leur utilité, je n’ai pas apprécié d’être noyée dans les pensées de Toshio. Les souvenirs passés se mélangent constamment avec le présent et ses sentiments face à l’arrivée des américains. Une manière d’écrire efficace, puisque l’on cerne très bien la personnalité instable de Toshio, un Être traumatisé par les américains de 1945. Malheureusement, ce style est beaucoup trop brouillon pour moi : j’ai besoin que le texte soit aéré, qu’une certaine typographie soit respectée. J’aime avoir des repères. Ici, volontairement, les repères temporels sont effacés et le lecteur est véritablement emporté dans un flot de souvenirs et de réflexions personnelles. 


« V’là pas que ça recommence, s’était-on dit avec un petit sourire en souvenir du prof de lettres chinoises dont les cours, il y a deux mois encore, se passaient uniquement à prêcher : « A l’heure de l’ultime combat, les dieux nous sauveront de l’invasion », et qui écrivant alors au tableau : « AngloSaxons = Démons assoiffés de sang », débordait tellement de rage, qu’on attendait dans les crissements stridents de la craie, le moment où elle allait se casser. »

 

Malgré ce défaut, j’ai souhaité m’accrocher et terminer ma lecture car c’est un texte intéressant : en effet, Akiyuki Nosaka livre au travers de celui-ci un état des lieux du Japon de 1945. Des cours d’anglais négligés et changeants, selon que le Japon soit en guerre ou vaincu, aux efforts dramatiques des américains pour nourrir un peuple en souffrance : les souvenirs de Toshio permettent d’explorer des facettes de la guerre ignorées dans La Tombe des Lucioles.


« Fromage ou abricots? Ça nous connaissait, ces cartons kaki, pas un grain de riz, rien que des vivres américains; les abricots secs, on n’aimait pas, mais le fromage c’était nourrissant, et même fameux dans le bouillon de miso; sous nos yeux, le marchand de riz éventra les caisses avec un couteau, des petits paquets emballés d’un magnifique papier rouge et vert apparurent, pour prévenir nos questions dubitatives, il annonça : « Cette fois, à la place du riz, ce sera du chewing-gum. La ration de sept jours. C’est ça, c’est boîtes », il en sortit une, on aurait dit un coffret à bijoux : trois jours de vivres.

 

D’une écriture plus légère, Akiyuki Nosaka met également en exergue le comportement ridicule des japonais face aux américains, à la fois détestés et craints. L’écrivain s’amuse à caricaturer les faiblesses d’un peuple traumatisé, ce que j’ai trouvé à la fois amusant et affligeant. Toshio fait des efforts de plus en plus démesurés pour que son visiteur américain apprécie le Japon : s’il s’agit au départ de le distraire, cette ambition prend une dimension grotesque, devenant pour Toshio comme un devoir. M. Higgins doit absolument, peu importe ce que cela coûtera, capituler et avouer la beauté du Japon. Un combat singulier, mais qui en dit beaucoup sur les répercussions psychologiques de la guerre. Je regrette le caractère obscène des dernières pages, qui a achevé de me lasser. Une nouvelle que je ne relirai pas, mais qui est tout de même bien écrite.

 

 

—>>> Pour aller plus loin…  

 

La Tombe des lucioles a été adaptée en film animé ! Je suis actuellement en train de visionner cette adaptation, à très vite pour mon impression sur celle-ci !