Ecrit par Michael Moorcock,
Publié aux éditions Pocket, collection Science-fiction,
Poche, 640 pages – 12,80 €.
(Résumé personnel)
Ce premier tome de l’intégrale du cycle d’Elric se compose des trois premiers tomes de la saga d’Héroic Fantasy écrite par Michael Moorcock : Elric des dragons, La Forteresse de la perle et Les Navigateurs sur les mers du destin.
Elric des dragons présente brillamment le personnage d’Elric, dernier empereur d’une race différente des hommes : les Melnibonéens. Ces êtres, hautement civilisés bien que cannibales, aiment le luxe tout autant que la torture ; régis par des pensées égoïstes, ils prennent plaisir à dominer les autres royaumes et à infliger d’atroces souffrances à autrui. Leur monde se résume au royaume de Melniboné, une île sur laquelle vivent des dragons asservis – bien qu’actuellement profondément endormis, car la majestueuse Melniboné dépérit. Le jeune empereur Elric, prince albinos au sang faible, ne survit que grâce à des potions et des herbes médicinales ; grand sorcier, il est surtout un grand érudit qui passa sa jeunesse dans les livres et grimoires à apprendre ce que ses ancêtres méprisaient : la justice. Voici donc un jeune homme triste car condamné à diriger avec terreur et autorité ses semblables alors qu’il ne rêve que d’équité, de justice et de générosité. Torturé par ses pensées contradictoires, déchiré entre son devoir et ses passions, Elric souffre et s’enferme dans les songes alors que son cousin Yyrkoon enrage de subir le joug d’un empereur si faible et incapable de reconquérir le monde pour offrir une gloire nouvelle à l’île aux dragons.
Alors qu’une fois de plus Elric essuie une provocation verbale de son cousin, des espions pirates sont capturés : leur torture révèle qu’une attaque ennemie aura prochainement lieu. Les plans de défense se décident, Elric revêt son armure et prend le commandement de sa flotte : quelques heures de combats bien menés et la victoire est remportée par les Melnibonéens. Cependant, alors que le vaisseau amiral poursuit un bateau pirate en fuite, Yyrkoon profite de la faiblesse d’Elric pour le jeter par dessus bord, affaiblit par des heures de combats et alourdit par son armure dorée. Elric se noie, Yyrkoon est proclamé nouvel empereur de Melniboné et se dirige fièrement vers le trône de Rubis. Mais voici qu’une ombre y est assise : Elric ! Alors que Yyrkoon implore la miséricorde de son empereur, maudissant le royal sorcier pour sa force d’esprit et son incommensurable savoir des incantations adressées aux esprits des eaux, le vil cousin parvient à s’échapper et emporte avec lui sa sœur Cymoril, amante et confidente de l’empereur. Elric, prisonnier d’un sortilège, se lance à leur poursuite trop tard : leur piste est hélas perdue. Les mois passent et l’inquiétude grandit, car Yyrkoon demeure introuvable. Elric prend alors une décision qui changera le cours de son existence : acceptant enfin d’utiliser sa puissante sorcellerie pour servir ses intérêts, il invoque un démon Seigneur du Chaos, Arioch, et accepte d’en devenir l’esclave en échange de son aide.
Ce pacte marque le début des aventures d’Elric : car s’il parvient à retrouver Cymoril, sa véritable quête ne fait que commencer et un fabuleux destin l’attend au-delà des mers et des frontières. Elric devra affronter bien des dangers dans son monde mais également dans d’autres dimensions et d’autres réalités, au-delà des rêves et des songes les plus profonds. Ses rencontres et découvertes lui permettront-elles à son retour d’endosser son rôle d’empereur ? De comprendre sa différence et de l’accepter ? Trouvera-t-il enfin la paix et la tranquillité de l’âme ?
Accompagner Elric dans sa quête de savoir et de justice, c’est partir à la découverte d’une multitude d’univers différents – et se surprendre dans un imaginaire profond et unique.
« [Il] courait le monde, refusait le pouvoir qui était le sien, risquait sa vie, sa raison, son amour et tout ce qui comptait pour lui, estimant que l’existence ne valait pas la peine d’être vécue sinon dans une périlleuse quête de savoir et de justice. »
Je rédige cette chronique des premiers tomes d’Elric, cycle d’héroïque fantasy non seulement très connu, mais surtout très apprécié et respecté des passionnés de ce type d’univers, en véritable profane du genre. Ainsi, j’ai lu ce premier tome de l’intégrale sans moyen de comparaison et sans exigence particulière, bien que je m’attendais sincèrement à un sentiment d’ennui, car sans m’y être réellement engagée, j’ai déjà abordé la Fantasy et l’avait trouvé fade, trop sanglante et invraisemblable – ces héros qui survivent toujours, à peine égratignés, ces ténébreux que même les cicatrices ne peuvent enlaidir – pour y prendre goût. Je suis plus que probablement une lectrice exigeante : si l’imaginaire peut m’émerveiller, il doit être soigné dans les moindres détails afin que je puisse y adhérer sans réserve.
Incroyablement, Elric a su me convaincre. Une semaine durant, j’ai accompagné cet empereur aux yeux tristes dans ses quêtes et me suis laissée emportée par sa personnalité complexe ainsi que par ses idéaux. Les descriptions physiques font de lui un personnage ni laid ni beau, agréablement hors normes, doté d’une physique à l’aspect fragile et d’une étrange blancheur : ce n’est donc pas son corps, mais sa personnalité qui séduit au fil des pages. Courageux, généreux, assoiffé de justice et de connaissances, il aimerait refuser le pouvoir de sa lignée pour se consacrer à ses passions et donner corps aux valeurs qu’il défend ; cependant, que l’on ne s’y trompe pas : loin d’être pacifique, combattre est son art et son plaisir, et cette soif de victoire, de sang et de vengeance le place sur un pied d’égalité avec les autres hommes. Aussi, Elric n’est pas à placer sur un piédestal, et s’il mérite son titre de héros, c’est qu’au fur et à mesure de ses rencontres il parvient à mettre ses plus vifs désirs au repos pour aider ses nouveaux compagnons dans des quêtes incertaines et souvent dangereuses.
« Le pouvoir est, je pense, une habitude aussi terrible que cette potion qu’il me faut à présent prendre pour survivre. Il se nourrit de lui-même. C’est un animal affamé, dévorant et ceux qui le convoitent et ceux qui le haissent…allant jusqu’à dévorer ceux qui le détiennent. »
Voici donc un jeune empereur maladif et plongé dans des pensées tumultueuses, curieux dilemme qui l’empêche de vivre et de diriger son empire, soudainement happé par un destin inattendu qui l’invite à parcourir le monde. Cependant, dans sa quête de valeurs perdues, dans sa recherche d’une justice différente et peut-être meilleure, c’est lui-même qu’Elric va découvrir et apprendre à connaître. Ainsi, ces trois premiers tomes me semblent les prémices d’un roman d’apprentissage dirigé avec intelligence : l’empereur progresse dans sa quête et chaque tome offre son lot de pensées philosophiques, de réflexions sur l’humanité, de découvertes et de déceptions. C’est donc une lecture très vivante et qui, malgré qu’elle soit riche en aventures, en rencontres, en batailles et en mystères, permet des remises en questions et une certaine réflexion intellectuelle.
« Le soleil n’avait pas jeté ses derniers rayons que la lune se levait, sa pâleur d’argent nuancée de rose, pareille à l’orient de quelque perle rare, alors qu’ils atteignaient dans la Piste Rouge un haut de côte où leurs regards plongeaient sur des feux. Un millier de foyers peut-être, et autant de vastes tentes éparpillées entre eux et découpant leurs silhouettes, posées sur le sable tels des insectes aux ailes déployées pour capter l’ultime chaleur émanant des cieux. A l’intérieur de ces tentes brûlaient des lampes ; hommes, femmes et enfants entraient et sortaient évoluant de l’une à l’autre. Une délicieuse odeur mêlée d’herbes et d’épices, de légumes et de viande montait vers eux cependant que la douce fumée des feux s’élevait en plein ciel par-dessus les énormes rochers couronnés par la Kasbah Moulor Ka Riiz, donjon qu’entourait un amas de bâtiments – d’une extraordinaire ingéniosité architecturale pour certains – l’ensemble étant ceinturé d’une muraille crénelée, irrégulière mais tout aussi massive. Du même rouge que la pierre qui la portait, la citadelle semblait une plante issue des dunes environnantes. »
Michael Moorcock place Elric dans notre ancien monde, ce qui permet, lorsque ce dernier se promène dans les Jeunes Royaumes alentours, navigue sur les océans ou traverse des déserts, d’offrir aux lecteurs des descriptions familières et authentiques qui permettent de s’attacher facilement au récit. Cependant, le talentueux écrivain parvient à contourner le tracé des cartes afin de développer un imaginaire très complexe : s’appuyant sur le pouvoir des rêves et le mélange des mythologies, il parvient à donner une place vraisemblable aux fantômes, dieux, démons et autres créatures surnaturelles. La belle maîtrise de cet imaginaire est très agréable et la plume délicate de Michael Moorcock raconte avec finesse ces univers que de nombreux dialoguent viennent enrichir ; ainsi, malgré l’apparente complexité de ces lieux et noms inventés de toutes pièces, pas une seule fois je ne me suis sentie perdue dans ce flot d’inventivité.
Unique faiblesse de ce passionnant récit : une plume inégale et qui offre à lire certaines lourdeurs. Cependant, la traduction dessert peut-être la plume de l’auteur : en effet, j’ai enchaîné la lecture de ces trois tomes – dont le premier a été traduit par Daphné Hali, le deuxième par Gérard Lebec et le troisième par Georges W. Barlow – et j’ai ressenti une réelle différence dans le style de l’écriture ainsi que dans le choix du vocabulaire. Le premier tome m’a semblé dynamique dans les descriptions, cependant les dialogues paraissaient quelque peu maladroits et vains ; a contrario, le second tome offrait des dialogues vivants et intéressants, hélas la lecture de ces derniers était moins agréable car plus cérémonieuse – pour ne pas dire pompeuse ; enfin, le troisième tome, sans conteste le plus agréable et le plus passionnant, offrait une écriture soignée et agréable dans les dialogues tout autant que dans les descriptions. Impossible donc de porter un réel jugement sur la plume de Michael Moorcock, que seule une lecture de la version originale pourrait étayer. Néanmoins, au-delà du style et des mots employés dans la rédaction, il y a une évidente disparité de narration entre ces ouvrages : alors que le premier et le troisième tome entraînent avec dynamisme le lecteur aux côtés d’Elric, le deuxième tome s’attarde dans de très longues descriptions ponctuées de quelques dialogues tout aussi lents, à tel point que le temps de lecture paraît engourdi jusqu’à la fin de cet opus monotone et répétitif.
Notez bien cependant que cette plume inégale ne gâche en rien l’imaginaire passionnant et réellement captivant de Michael Moorcock, et que s’il est bon de savoir à quoi s’attendre – en l’occurrence, il faut se préparer pour ce deuxième tome à faire preuve d’une grande patience – il serait réellement dommage de renoncer à lire ces ouvrages : ce serait vous priver d’un excellent moment de lecture !
« Une plainte jaillit devant, si pleine de souffrance que Dame Sough lâcha la barre pour se boucher les oreilles. Un long aboiement roula entre les murailles de l’abîme, menaçant d’en détacher des rochers. Au coude suivant de la rivière, ils virent la bête, comme un grand loup hirsute, tendu dans un nouveau hurlement. L’eau se ruait tout autour de ses énormes pattes, l’enveloppant d’écume. Il tourna son regard sur eux et d’un seul coup disparut. Seul demeura l’écho de sa plainte. La vitesse du courant s’accrut. La barque dut heurter un obstacle et soudain bondit. La nautonière garda les mains plaquées sur les oreilles sans songer à la contrôler. Elric prit la barre, n’en put rien tirer bien qu’il y mit toutes ses forces. Il renonça.
Le torrent les précipitait toujours plus bas dans une entaille si profonde qua la lumière se raréfia jusqu’aux limites de l’obscurité. Ils virent des visages qui leurs disaient des choses, sentirent des mains qui se tendaient pour les toucher. Elric acquit la conviction qu’il n’était pas de créature mortelle qui, l’échéance passée, ne fût revenue ici le hanter. Son propre visage lui apparut plusieurs fois, et celui de Cymoril, et celui de Yyrkoon. De vieilles batailles furent de nouveau livrées sous ses yeux. Il sentit remonter d’anciennes et torturantes émotions. Il éprouva la perte de tout ce qu’il avait jamais aimé, le désespoir de la mort et de l’abandon, puis joignit sa propre voix au brouhaha, hurlant comme le loup avait hurlé, jusqu’à ce que Oone le saisît, le secouât, lui hurlât dessus plus fort que lui, le fit revenir de cette démence où il commençait de sombrer. »
Ce roman a été lu pour Les chroniques de l’Imaginaire. Merci aux éditions Pockets pour la confiance dont elles honorent notre équipe de chroniqueurs.