Le sentier des nids d’araignée

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Ecrit par Italo Calvino,

Publié aux éditions Gallimard – collection Folio,

Poche, 240 pages – 6€80.

(Résumé personnel)

Seconde guerre mondiale. L’Italie souffre, morcelée entre les allemands, les fascistes, les résistants et les autres, ceux qui essaient de vivre encore normalement, comme si la guerre n’était pas déjà à leurs portes. Dans une vieille rue poisseuse et puante se promène un petit garçon, Pin. Pin n’a pas d’ami et va de ci de là, tel un petit oiseau tombé de son nid. Les enfants ne l’aiment pas, les adultes font semblant de l’apprécier : constamment rejeté, il n’a pour lui que sa grande sœur – une prostituée qui lui appartient autant qu’aux autres. Alors Pin fait semblant d’être joyeux et se raccroche désespérément au monde des adultes – pressé de grandir, et d’avoir lui aussi un groupe auquel appartenir. Enfant attentif, il parvient à se faire apprécier des grands par ses commérages malicieux, ses plaisanteries cochonnes et ses chansons mélodieuses bien qu’obscènes – pauvre gosse obligé de masquer son dégoût de la sexualité par une vulgarité débridée. 

Un jour, dans le vieux café enfumé, les hommes se tournent vers lui sans sourire, sans plaisanter : on exige de lui qu’il aille voler le revolver d’un client de sa sœur, un allemand. Pin est effrayé, il réagit à sa manière : des vannes légères, lancées dans les airs. Mais les grands ne répondent pas à ses blagues, et s’il ne va pas voler cette arme, ils ne veulent plus jamais le revoir. Pin sort du café malheureux et effrayé. Ce café est sa maison, ces hommes ses presque-amis. Il ne veut pas se retrouver complètement seul, si abandonné, si profondément misérable. Alors il dérobe le revolver, l’enfouit sous son pull et s’enfuit à toutes jambes. Fier de lui, de cette prouesse qui fait de lui un complice de ces grands qu’il respecte, il retourne au café pour offrir l’arme : mais il ne reçoit ni les louanges escomptées ni les démonstrations d’amitié tant espérées – pire, les adultes ne lui demandent pas l’arme et feignent l’indifférence. Le cœur battant, les larmes aux yeux, Pin se sent trahit, piégé. Il s’est rendu coupable du vol de cette arme que les autres ne veulent plus. Il se sent utilisé, rejeté. Il pleure et court loin, longtemps. Il dissimule son trésor dans un lieu secret et merveilleux, un écrin de terre dans lequel les araignées construisent leurs nids – un endroit qu’il adore et ne partagera qu’avec un ami ; s’il trouve un jour un ami avec lequel le partager, car pour le moment il est seul, et il fait nuit. Seul dans le noir, seul sur Terre. Il pleure et marche dans l’obscurité. Mais une voix s’élève : un homme, seul lui aussi dans la nuit, qui le prend par la main et l’emmène. Pin va alors découvrir d’autres hommes, d’autres âmes, et par ses yeux innocents d’enfant en saisira la profonde noirceur – mais aussi, peut-être, la lueur d’espoir qui brille en chacun d’eux. 

« Cela les différencie de tous les autres : avoir des ennemis, c’est un sentiment obscur et nouveau pour Pin. Dans sa ruelle, il y avait des hurlements d’hommes et de femmes qui se disputaient et s’insultaient jour et nuit, mais on n’y connaissait pas cette mauvaise envie d’avoir des ennemis, cet impérieux désir qui empêche de dormir. Pin ne sait pas encore ce que cela veut dire « avoir des ennemis ». Dans tout être humain, pour Pin, il y a quelque chose de répugnant comme chez les vers de terre et quelque chose de bon, de gentil et de chaleureux qui suscite l’amitié. Pas chez ceux-là. Au contraire : ils n’ont qu’une seule idée en tête, une idée fixe, comme les amoureux, et quand ils prononcent certains mots leur barbe en tremble, leurs yeux brillent et leurs doigts caressent la hausse de leurs fusils. »

Le sentier des nids d’araignée décrit avec intelligence le quotidien d’un enfant pris entre la guerre et les hommes, abandonné dans un monde complexe qu’il ne comprend que difficilement. La seconde guerre mondiale est partout présente, mais elle sert surtout de contexte à l’écrivain qui place les hommes au cœur de son roman. Grâce à des dialogues bien construits et à de nombreuses descriptions rapides mais soignées, les personnages d’Italo Calvino prennent de l’épaisseur au fil des pages, devenant familiers et presque réels. Je pense d’ailleurs que ce roman pourrait aisément être adapté en film car les personnages sont dotés d’une vraie personnalité, fouillée et complexe ; de plus, un fil narratif relie chacun de ces hommes à ses semblables, créant une intrigue humaine assez captivante pour remplacer l’action, ici quasiment inexistante.

Cependant, malgré une plume efficace, la lecture de cet ouvrage se révèle laborieuse : l’histoire se nourrit de ces nombreux dialogues, mais se faisant, donne au franc-parler de l’époque une place trop importante. Une syntaxe bancale caractérise le patois des personnages, à laquelle s’ajoute une vulgarité fatigante : si l’habitude se crée et s’installe au bout de quelques pages, une certaine lassitude se fait également ressentir… C’est pourquoi il m’a fallu près d’une semaine pour lire ce petit livre d’un peu plus de deux cents pages : une lecture volontairement ralentie pour ne pas m’écœurer de cet ouvrage, qui mérite que l’on s’y attarde pour sa vision aussi intéressante qu’émouvante des hommes qui ont fait l’Histoire de l’Italie.  

« Et voici que l’envie de tuer le submerge, lui aussi, âpre et violente, de tuer même le planton qui s’était caché dans le poulailler, quoique ce soit un connard et justement parce que c’est un connard, de tuer aussi la sentinelle triste de la prison, justement parce que c’est un type triste et que sa figure est tailladée par le rasoir. Cette envie de tuer, c’est une envie qui vient du plus profond de lui-même comme une envie d’amour ; elle a quelque chose de désagréable et d’excitant comme le tabac et le vin ; c’est une envie dont on ne comprend pas très bien pourquoi elle habite tous les hommes et qui doit sûrement, quand on la satisfait, dispenser des plaisirs secrets et mystérieux. »

Ce roman a été lu pour Les Chroniques de l’Imaginaire. Merci aux éditions Folio du groupe Gallimard pour la confiance dont elles honorent notre équipe de chroniqueurs.