Ecrit par Salvador Macip,
Publié en mars 2013 aux éditions Hachette – collection Blue Moon,
Format 21,6 cm x 13,5 cm, broché, 232 pages.
Hipnofobia s’appuie sur des éléments de science-fiction rebattus par quantités d’oeuvres littéraires et cinématographiques pour construire un thriller psychologique cohérent surprenant de réalisme.
La construction originale du roman ne me permet pas de résumer celui-ci en quelques phrases car l’auteur a choisi de donner voix à une multitude de narrateurs plutôt que de se cantonner au choix classique d’un point de vue narratif unique et donc restreint. En résulte un roman aux nombreuses facettes, découpé en chapitres autonomes qui s’articulent comme des nouvelles et pourraient presque se lire indépendamment les uns des autres. J’écris presque, car il demeure un mince fil narratif reliant ces étranges sections entre elles. Cette trame commune, aussi discrète qu’efficace, est offerte par le premier chapitre, un texte court mais indispensable à la compréhension du roman.
« Lumière blanche.
Sol blanc.
Le plafond, s’il existe, est blanc lui aussi.
Je ne peux pas voir mes mains, attachées dans mon dos, mais elles doivent sûrement être déjà aussi pâles que tout ce qui m’entoure.
Le blanc, c’est le vide. Le vide de la pièce où l’on m’a enfermé. Une pièces sans limites, sans murs. Sans portes, sans fenêtres et sans ouvertures. Sans angles, parce que le blanc efface toute possibilité de perception. »
Un homme est prisonnier. Est-ce une victime, un otage, un condamné ? Est-il en danger ou est-ce lui, le danger ? Les questions se bousculent immédiatement dans l’esprit du lecteur alors que celui-ci découvre dans quelles conditions cet individu est privé de sa liberté. Les premières lignes du roman véhiculent une angoisse pesante, et l’on ne peut dissimuler un effroi instinctif à la découverte de l’univers singulier et saturé de blancheur dans lequel est séquestré l’inconnu. La pièce est exiguë et infinie, excessivement vide et silencieuse. Seul demeure le bruit artificiel et mécanique de la respiration de cet homme privé de ses instincts, contraint de s’oxygéner par une machine hors de sa vue. Tout se réduit à ce bruit persistant et répétitif qui semble vouloir se répercuter inlassablement contre les murs de sa cellule et les parois de son cerveau, à la fois grincement, grésillement et ronflement affolants qui pénètrent l’esprit entièrement, jusqu’à le saturer de ce bruit immuable. L’inconnu serait devenu fou, s’il n’était pas doté d’un mental exceptionnellement puissant.
« J’ai très souvent pensé que nous n’arriverions nulle part, mais quelque chose me poussait à continuer. Si je ne l’avais pas fait, je ne serais jamais arrivé où j’en suis aujourd’hui. L’Homme Nouveau. Le Surhomme, comme nous disait le Chef. Je suis la preuve que nous pouvons vaincre nos propres démons. Vaincre l’évolution. »
On découvre ainsi les facultés spirituelles d’un individu insomniaque, détenu par des militaires dans un sous-sol secret. Alors qu’il est physiquement immobilisé et que le moindre de ses mouvements est rendu impossible, son esprit vagabonde allègrement hors de sa terrible geôle, interceptant les pensées des acteurs de sa captivité tout en admirant paisiblement les paysages extérieurs. L’intelligence de cet homme résigné à accepter sa mort, qu’il sait prochaine et inévitable, est déconcertante. Le mystère s’épaissie sensiblement jusqu’à ce que l’on comprenne que cet individu est parvenu à contrôler une partie du cerveau jusqu’alors inactive et que protégeait le sommeil, révélant ainsi une source inédite de pouvoirs mentaux auxquels les êtres humains n’avaient accès qu’en rêves.
Hélas, l’attrait du pouvoir est grand et les êtres envieux sont capables de mobiliser d’immenses ressources pour parvenir à contrôler ce qui les dépasse et les rendraient plus puissants. Ainsi, l’Etat recrute d’éminents scientifiques afin de percer les secrets de cet infatigable personnage, seul survivant parmi des centaines de corps carbonisés de l’intérieur. Possède-t-il un pouvoir surnaturel ? Pourquoi et comment ne dort-il jamais ? Une nouvelle arme a-t-elle été inventée ? Des spécialistes sont confinés dans un bunker souterrain et passent leurs journées à étudier ce cas unique. Le meilleur d’entre eux, le professeur Metcalf, cloîtré dans son bureau depuis des semaines à écumer ses livres, le cerveau bouillonnant de réflexions, d’hypothèses et de possibilités parvient subitement à saisir la vérité d’entre l’enchevêtrement de ses pensées. Ce spécialiste du sommeil, le meilleur au monde, comprend subitement qu’une telle vérité est synonyme d’une renommée absolue, d’un prestige encore jamais atteint. Grisé par son orgueil, il assassine discrètement celui qui pourrait le priver de cette gloire nouvelle en dévoilant son fabuleux secret à l’humanité, puis disparaît du monde. Des mois durant, ce savant mégalomane apprend à oublier la fatigue. Sourd à son corps, il se prive de sommeil et outrepasse ses capacités physiologiques pour atteindre un état nouveau de clarté et d’intelligence nouvelle.
« Si nous parvenions à réduire au maximum les heures gaspillées à dormir, nous pourrions alors récupérer le trésor dont la Nature nous avait privés : la pleine maîtrise de notre force mentale. »
S’ouvrent ensuite de nouveaux chapitres qui éclipsent ce dangereux chercheur et ouvrent le récit sur des personnages inédits. Le roman devient alors polyphonique et l’histoire de chacun s’impose doucement au lecteur tout en s’inscrivant subrepticement dans la véritable histoire, celle qui relie l’ensemble des protagonistes.
Par conséquent, si le premier chapitre est le plus important car il pose les bases du roman, ce sont les chapitres suivants, comme autant de branches sorties d’un tronc, qui offrent au roman son dynamisme au moyen d’un épais feuillage de descriptions aiguisées et de détails réfléchis. Jamais je n’ai songé que l’auteur prenait quelques facilités avec son récit, au contraire l’ensemble de son texte est d’une cohérence implacable et acquiert lentement l’apparence d’un arbre fier et massif aux racines solidement plantées dans un imaginaire astucieux et rationnel.
Le principal avantage de ce procédé narratif est d’offrir au lecteur différents angles de perception d’un même événement, et par conséquent une compréhension plus intelligente de celui-ci. Le roman gagne en richesse grâce à cette construction originale puisque l’intrigue s’enrichit de faits extrinsèques ; de plus, en approchant le complot de l’extérieur, l’auteur s’octroie la possibilité d’étoffer ses explications du procédé de manipulation ainsi que de caractériser avec une plus grande précision ce phénomène complexe. De ce fait, le récit peut s’attarder davantage sur les sensations des personnages dont les moindres émotions sont décrites avec justesse et précision, qu’ils soient les manipulateurs ou les êtres manipulés.
Ainsi, le lecteur accompagne l’une des victimes dans l’expression des tourmentes psychologiques qu’elle expérimente : la sensation de malaise ressenti par le personnage alourdit progressivement les mots et son hésitation ainsi que son incompréhension face aux troubles qui l’envahissent finissent par atteindre le lecteur. Rapidement, la souffrance psychique provoquée par l’agresseur se mue en une profonde angoisse, c’est un cri de détresse qui transperce les mots et cingle violemment le lecteur au visage. Enfin, une peur panique se saisit de cette proie forcée de caresser sa mort, devenue poupée de chair sans volonté, et lorsque le personnage est autorisé à reprendre le contrôle de son corps et de son esprit, c’est une terreur instinctive et intolérable qui s’immisce en lui. Le lecteur se détache alors de cette larve humaine pour s’intéresser à l’agresseur, un être ambitieux qui transpire d’orgueil et s’investit aveuglement dans cette tâche cruelle dont il tire une extrême jouissance. Le contrôle qu’il exerce sur le corps et l’esprit d’autrui lui procure des sensations exaltantes. Le malfaiteur ferme les yeux et des images étourdissantes prennent forment dans son esprit corrompu : il imagine les pulsations du sang dans les artères de cet être apeuré et ressent les battements frénétiques du coeur de sa victime, dont elle ne parvient pas à reprendre le contrôle. Il ne lui reste alors qu’à concevoir ce coeur ensanglanté dans son poing serré, de se le représenter comprimant ce coeur encore frémissant de vie et dont le sang jaillit en courbes sensuelles, de serrer mentalement ses doigts autour de cette machine humaine pour que la victime s’affaisse sur le sol, inanimée.
« Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves. C’est Shakespeare qui l’a dit, j’imagine que tu l’ignorais. Un homme savant, ce Shakespeare. Il a dit aussi que nos petites vies sont entourées de sommeil. C’est ça l’histoire : nous pouvons obtenir tout ce que nous désirons, parce que c’est en nous. Les rêves. Mais ils nous font peur. Nous choisissons de fermer la porte sur nous quand nous fermons les yeux. Ma mission est de franchir ces barrières, faire en sorte que l’homme trouve en lui les moyens de parvenir à réaliser tous ses désirs. Libérer notre potentiel. »
La plume de l’auteur se met habilement au service du récit et se montre ainsi très adroite dans la démonstration des incroyables aptitudes mentales qui sont au coeur de l’intrigue. Force est de constater l’important travail de réflexion que Salvador Macip a mené en amont de ce roman aux multiples facettes, un choix narratif véritablement audacieux et grâce auquel une histoire de science-fiction banale et sans réel attrait se transforme soudainement en une histoire intelligente et dont l’on attend l’issue avec inquiétude.
Cette pluralité du récit est lors des premières pages déstabilisante, mais elle devient rapidement très appréciable et même indispensable au plaisir de lecture, car elle permet d’éviter à cette histoire profondément ancrée dans la réalité d’atteindre une monotonie ennuyante et pourtant inéluctable puisque le récit ne recourt pas au fantastique. L’écrivain a donc contourné une difficulté inhérente à ce genre littéraire en choisissant de ré-inventer constamment son histoire tout en conservant l’intrigue initiale de son récit, qu’il est de plus parvenu à affermir grâce à une diversité nourricière et donc doublement bénéfique. J’applaudis la prouesse littéraire !
Hipnofobia est écrit dans un style lapidaire qui trahit la carrière scientifique de Salvador Macip : les mots, adroits et précis, s’ordonnent dans des phrases courtes et sensées totalement dépouillées d’adjectifs superflus ou de figures de style ornementales. Cette écriture se révèle particulièrement efficace dans les scènes chargées de tension émotionnelle car les nombreuses descriptions tirent avantage de la concision de l’auteur. En effet, ce dynamisme sévère et rigoureux permet de faire ressentir au lecteur l’appréhension ainsi que l’angoisse engendrées par l’auteur, qui utilise les mots comme des outils pour façonner l’imaginaire du lecteur.
Cependant, malgré la pertinence de ce choix d’écriture, j’ai regretté le manque de variété dans la rédaction de ce roman car il faut malheureusement avouer que la plume de l’auteur peine à se renouveler. En effet, le récit ne peut constamment suivre un rythme effréné et de ce fait des moments de nonchalance s’imposent d’eux-mêmes, reflets sincères d’une réalité qui s’amuse avec le sablier du temps ; par conséquent, Salvador Macip aurait dû s’adapter à son récit et entrer en adéquation avec ce dernier en privilégiant des constructions lyriques et poétiques, capables de caresser l’esprit du lecteur et d’en flatter les instincts. Hélas, cette mollesse nécessaire au récit ne parvient pas à crever la surface du texte qui demeure abrupte, angulaire, agressif et par conséquent désagréable.
Enfin, je conserve une profonde amertume des dernières pages qui achèvent ce thriller. En effet, alors que le roman n’a de cesse d’exciter l’imagination du lecteur, l’incitant à concevoir un immense pouvoir tapi dans l’ombre et prêt à dominer le monde, le roman se termine sans extravagance, sur un affrontement d’une incroyable platitude, terne et ennuyeux au possible. Même la plume de l’auteur, jusque là si dynamique et emportée, s’essouffle soudainement et devient insipide. Le texte se termine ainsi brutalement, sur un vide désagréable et injustifié. J’ai ressenti un tel dépit que je me suis prise de colère contre cet auteur irrespectueux du lecteur et de ses attentes, puisque après l’avoir tenu en haleine durant plus de deux cents pages, il conclut par quelques paragraphes négligés et indigestes.
En conclusion, cette fin ouverte fut une véritable déception et seul un authentique travail de réflexion en aval de ma lecture m’a permis de me détacher de ce sentiment déplaisant d’inachevé afin de retrouver, au-travers de choix narratifs audacieux et surprenants, la satisfaction éprouvée lors de ma découverte de ce roman singulier.
Je remercie sincèrement Gilles Paris et son équipe pour la confiance dont ils m’honorent, ainsi que les éditions Hachette pour cette lecture divertissante.