Bubelè, l’enfant à l’ombre

Bubelè, l’enfant à l’ombre


Ecrit par Adolphe Nysenholc

Première publication en 2007.

 


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 Bubelè, l’enfant à l’ombre met en scène un petit gars de trois ans que ses parents, des Juifs polonais qui prérirons à Auschwitez, ont caché dans une famille flamande de ce qui était alors – Ganshoren, dans le nord de Bruxelles – un bout de camapgne en périphérie de la capitable du Royaume de Belgique.Autobiographique, le récit se teinte d’un humour digne de Chaplin ou de Woody Allen. C’est le sourire aux lèvres et la gorge nouée que l’on suit les évolutions de ce bonhomme, de ce bubelè, durant la guerre et après, en quête du moindre souvenir de sa mère et d’un avenir qui lui appartienne enfin, jusqu’au seuil de son adolescence. 

 

 

 

 

 

Autobiographie ou roman autobiographique ? Réalité ou fiction ? Quelle est la véritable nature de ce texte de moins de cent cinquante pages ? Je pense qu’il n’entre dans aucune de ces catégories figées. L’auteur, Adolphe Nysenholc, a écrit ce texte comme un hommage à ses « sauveurs ». Ce texte va même au-delà de l’hommage : l’écrivain l’investit d’une puissance exceptionnelle et fait revivre, durant ces quelques pages, ses disparus. « Adieu » est un mot bien difficile à prononcer, et dans la douleur de la perte de ces êtres aimés qui deviennent tout à coup inaccessible, la peur d’oublier devient parfois lancinante. Pour beaucoup, des photos disposées ici et là dans la demeure raviveront les souvenirs conservés au plus profond de la mémoire – l’essentiel des êtres aimés. Pour d’autres, l’art est nécessaire. Adolphe Nysenholc a eu ce besoin d’écrire pour ses morts, pour les faire revivre dans sa mémoire – et les ressusciter dans la mémoire collective. 

Cependant, les souvenirs s’estompent avec le temps – la mémoire les altère, selon l’évolution des sentiments et la nécessité de l’âme. Je crois que c’est encore pire lorsque l’on songe régulièrement au même souvenir – on finit par le revivre et le revivre encore, et cela sous-entend le vivre différemment, repenser certains détails, certaines émotions. Mieux s’approprier des situations. Adolphe Nysenholc a écrit ce texte durant 17 ans. Dans un premier jet, il évoquait son enfance par ses yeux d’adultes. On lui en fit le reproche : c’est l’enfant qui est intéressant, pas l’adulte. Alors, il a entièrement remanié son texte. Il l’a épluché, encore et encore, pour ne laisser que l’essentiel des souvenirs : un écrit qui se rapproche le plus des pensées de son « moi-enfant ». Toutefois, ce ne sont pas les véritables pensées de l’enfant qu’il était : le temps et l’exercice d’écriture – cette obligation de revivre chaque souvenir afin de le coucher sur papier, et puis de revoir le style, la forme, le fond, la narration – les ont altérés. Alors, fiction ou réalité ? Pour répondre à cette question, il faudrait encore se questionner sur ce qu’est la réalité. Adolphe, enfant, percevait la réalité du haut de ses trois ans : que comprenait-il de la guerre, des adultes, des sacrifices nécessaires ? Sa réalité était bancale, confuse. Une réalité d’enfant, toute déformée par la violence des émotions, limitée par le jeune âge de celui qui la percevait. On pourrait en conclure que ce n’était donc pas la réalité; et pourtant, c’était celle d’au moins un enfant : Adolphe Nysenholc.


« Un midi de tempête, on frappa fort à notre porte. Toujours curieux et preste, j’allai ouvrir. C’était la Gestapo! Un homme émacié, en manteau de cuir noir doublé de fourrurre, entre. Un loup avec une peau de mouton. « Mein Herr Fan Helten? » martela-t-il. Sa mâchoire se referma comme un piège. Il suait. « Ja », fit Nunkel, qui se trouvait face à l’éternel adversaire, venu le déranger jusque chez lui ! C’était peut-être le traqueur qui avait attrapé les miens. Nunkel invita le fâcheux à s’asseoir à table. Il me faisait de grands yeux pour que je déguerpisse. »


Le récit est à la fois diffus, confus, brouillon et bien construit : on imagine aisément l’acharnement dont l’écrivain a fait preuve pour coller au plus près aux pensées de celui qu’il était, il y a des dizaines d’années. Le texte est découpé en quelques chapitres. Le premier, très long, se concentre sur la « nouvelle » famille d’Adolphe. Sa famille de guerre, celle qui va le sauver – car un mois à peine après avoir été confié à ces inconnus, ses parents furent dénoncés et toute sa famille fut envoyée à Auschwitz. J’ai eu de réelles difficultés à pénétrer le récit lors de cette première partie : la trame narrative est quasiment inexistante, les pensées sont presque jetées sur le papier – on passe régulièrement d’un sujet à un autre sans transition, sans explication. C’est pourtant vrai qu’un jeune enfant peut parler de tout et de rien tout à la fois, brûlant de questions, de jeux, d’inquiétudes, de certitudes et d’incertitudes, mais qu’il est difficile d’entrer dans ce monde presque absurde tant il se veut complexe et dénué de logique ! 


Je tiens à le souligner : il s’agit d’un très bon texte, car Adolphe Nysenholc est parvenu à ôter de celui-ci sa perception et sa logique d’adulte, le recul nécessaire du temps et les explications fournies par l’Histoire. Le lecteur découvre le raisonnement fragile d’un petit bout d’être humain qui se sent abandonné, rejeté par ses parents et qui ne comprend pas ce soudain éloignement : est-ce une punition ou n’est-il tout simplement plus aimé des siens ? Petit garçon, il attend désespérément le retour de sa maman – « demain », lui avait-elle dit ; et lorsqu’enfin il comprend la signification d’Auschwitz, ce n’est que pour espérer encore plus fort : il y a des survivants, pourquoi ses parents n’en feraient-il pas partie ? 

Cependant, malgré l’intensité des émotions qu’il transmet, le récit m’a dérangé. Je ne parvenais pas à m’identifier au narrateur, à ressentir son désespoir, sa colère, son amertume : il y a un défaut de vraisemblance, les mots employés ne sont pas ceux d’un enfant. J’imagine qu’il est impossible de coucher sur papier les pensées que l’on a conçu, enfant, avec les mots de l’enfance. Pourtant, à de nombreuses reprises, l’auteur a essayé d’employer une syntaxe enfantine – désordonnée, illogique, tranchée, parfois répétitive – et c’est assez réussi ! Hélas, certains paragraphes sont très élaborées, emploient un vocabulaire d’adulte, proposent une réflexion très mature et une poésie dramatique certes agréable, mais si peu réaliste : le narrateur est un petit garçon, presque un bébé encore, du haut de ses trois ans ! J’ai lu le postface avec intérêt. Grâce à ce dernier, j’ai découvert que les procédés romanesques utilisés dans ce récit ont été volontairement mis en exergue par l’auteur. Je suppose que ce qui est pour moi un choix narratif malheureux, les pensées d’un homme-enfant, est en réalité un effet souhaité par l’écrivain. Peut-être souhaitait-il ainsi se rappeler, adulte, à la mémoire du lecteur. Je n’ai tout simplement pas apprécié, ma lecture en fut gâchée. J’aurais préféré un choix tranché : les pensées d’un enfant ou les pensées d’un adulte, avec un vocabulaire et une syntaxe adaptée, vraisemblable. Il est si difficile de pénétrer l’esprit d’un enfant, l’auteur rend cette tâche encore plus complexe par l’introduction des pensées d’un enfant-adulte, ce qui rend la chute, c’est-à-dire le retour aux pensées enfantines, très abrupte. J’ai souffert lors de ma lecture ! C’est vraiment regrettable.


J’ai malgré tout poursuivi ma lecture, car le témoignage d’un enfant juif ayant vécu la seconde guerre mondiale ne peut pas être ainsi abandonné. J’ai lutté pour me mettre dans sa peau et imaginer sa souffrance, son incompréhension, sa lassitude. Ballotté de famille en famille, déchiré entre l’amour de sa nouvelle mère et le désespoir d’un oncle inconnu revenu d’Auschwitz et qui souhaite absolument le rendre heureux, juif sans l’être – un « juif païen » – enfant caché qui se cache de lui-même… Malgré l’innocence du ton employé, une immense souffrance s’échappe de ce texte. La deuxième moitié du livre se lit un peu plus facilement, car Adolphe grandit et ses pensées avec : elles sont moins éparpillées et mieux transcrites, on peut mettre un pied dans l’histoire. Un pied seulement, car mon esprit s’est heurté à un second obstacle : la langue juive y est constamment utilisée et il me fut très difficile de comprendre le récit. Il y a pourtant un petit lexique à la fin du livre, qui reprend la plupart de ces mots et en donne une définition intelligible, toutefois l’ouvrage aurait gagné en clarté si ces définitions avaient été écrites en bas de la page où se situe le mot défini. D’autant plus que bien souvent, je cherchais dans le lexique des mots qui n’y étaient pas. Dans ce cas, pas d’autre choix que d’ignorer le mot, et par conséquent ignorer le sens de toute la phrase. Encore une fois, ma lecture fut hachée, difficile. J’ai posé l’ouvrage plusieurs fois, et j’avais hâte de tourner la dernière page. J’en étais navrée, car le véritable sujet de ce texte est l’enfance de l’après-guerre, un sujet rare en littérature. 


« Ma mère avait voulu m’avoir avec elle, au moins en image. Mais sur ce premier visage immobile, mon regard était émerveillé. Longtemps, je n’ai pas vu qu’en fait, au-delà de l’appareil, je regardais quelqu’un. Or, je percevais celle qui me sera toujours absente. Et qui ce jour était présente de corps, hors champ. Dans mes yeux, il y a ma mère. Elle était là, je la voyais. Et j’ai pu oublier, après, qui était dans ma visée. Je n’ai plus vu que moi. Je n’avais plus sa vision. Je n’avais plus mes premiers yeux. Je ne suis peut-être plus son enfant. Il me faudra le coup d’oeil du découvreur de continent pour briser un jour les cadres et la retrouver hors image. »


J’ai refermé ce livre avec soulagement, car j’étais véritablement lassée de ma lecture. L’écriture d’Adolphe Nysenholc ne m’a pas convaincue : on ne peut hélas pas apprécier toutes les plumes ! Néanmoins, je recommande ce texte pour sa richesse : c’est un témoignage très bien transcrit, qui offre une vision différente de l’après-guerre et une véritable réflexion sur l’enfance. Certains passages sont très intenses et réalistes. C’est un auteur qui peut plaire à beaucoup de lecteurs, et qu’il faut lire pour ne pas oublier les souffrances qu’ont endurées tant d’Hommes. Un texte qui s’inscrit dans le devoir de transmission et de souvenir. 


« Je ne comprenais pas comment on pouvait croire. Il n’y avait Rien. Et s’il existait un Être, il doit être Tout. Or, il n’est déjà pas le tout-puissant, car il n’a pas su empêcher la Shoah. Et s’il n’a pas voulu empêcher le génocide, nous ne sommes pas son peuple. René me fit avec calme : « Mais Dieu est juif, et, c’est comme tel qu’il a été tué à Auschwitz. C’est aux juifs survivants de le ressusciter, c’est à nous de lui donner vie. » Et, je me dit qu’Il ne pouvait pas être tout, sinon Dieu serait aussi Nazi. »

 

 

Je vous invite à consulter sur cette page une interview de l’auteur, Adolphe Nysenholc, réalisée par l’équipe de Libfly à l’occasion de la foire du livre à Bruxelles (descendre la souris jusque « samedi », à « 18 heures »).


Je remercie l’équipe de Libfly ainsi que les éditions Espace Nord pour leur confiance !