Ecrit par David Levithan,
Publié aux éditions Gallimard – Les Grandes Personnes,
Broché, 384 pages – 17 €.
(Résumé personnel)
Le narrateur est un esprit âgé de 16 ans, prénommé A. Dépourvu d’enveloppe corporelle, cet esprit asexué subit son destin : chaque matin il se réveille dans la peau d’un jeune homme ou d’une jeune fille de son âge et découvre avec résignation son nouveau visage, s’efforçant de comprendre au plus vite l’histoire de son hôte ainsi que son rythme de vie. Durant vingt-quatre heures, A prend le contrôle de ce nouveau corps, s’efforçant de le respecter du mieux possible et de ne pas interférer dans sa vie : s’il n’a pas accès aux émotions de son hôte, il peut en fouiller la mémoire pour copier ses gestes et ses paroles. A n’a pas choisi cette vie étrange qu’il ne comprend pas : sans parent, sans ami, sans attache, il est invisible de tous et s’en contente.
Un jour cependant, il rencontre Rhiannon, la petite amie de son hôte, et en tombe amoureux. Ce n’est pas simplement de ses beaux yeux qu’il tombe amoureux, mais de tout son être : il sent en elle une profondeur qu’il n’a jamais rencontré, une générosité naturelle qui le fait chavirer. En quelques secondes, sa vie trouve enfin un sens : il est né pour elle, pour l’aimer, pour la regarder.
Hélas, cette prise de conscience ne suffit pas à lui donner un corps : malheureux comme jamais, A quitte à minuit le corps du jeune homme pour intégrer celui d’une jeune fille, à quelques heures de route de Rhiannon. Alors qu’il essaie de poursuivre sa routine habituelle et de se satisfaire de sa vie morne et impersonnelle, A sent qu’il ne peut ignorer plus longtemps cet appel du cœur. Commence alors un combat contre son destin : A décide de vivre enfin pour lui et d’utiliser les corps qui lui sont offerts pour retrouver Rhiannon, quitte à semer le désordre dans la vie de ses hôtes. Mais l’amour est-il possible pour un être qui change de corps chaque jour, au gré du hasard ? La douce Rhiannon pourra-t-elle aimer au-delà des apparences ?
« Main dans la main, nous marchons le long du rivage tandis que le soleil décline dans le ciel. Je ne pense ni au passé, ni à l’avenir. Je déborde de gratitude envers ce soleil, cette eau, ce sable dans lequel s’enfoncent mes pieds, envers sa main qui tient la mienne. »
Dès la première page, la lecture s’annonce difficile : le style est artificiel, l’écriture semble forcée et il y a ce petit quelque chose qui repousse plutôt qu’il ne séduit. Les pages se tournent pourtant, plus par curiosité que par plaisir, et la plume de David Levithan prend de l’élan, distillant quelques notes de poésie ainsi que de jolies images de tendresse amoureuse, et ce serait presque de la grâce si l’écrivain ne se laissait pas aller à des lourdeurs fatigantes. Hélas, tout le roman se construit de ces lourdeurs qui finissent par prendre le pas sur les plus jolis aspects de cette histoire d’amour peu commune. Ainsi, chaque nouveau chapitre s’ouvre sur une nouvelle journée, donc un nouveau corps, et chaque fois se répète le même schéma de découverte de l’hôte et du contexte familial. Certes, c’est un mal nécessaire aux choix narratifs : mais alors, on ne peut s’empêcher de remettre en doute les bases de cette histoire artificielle et surtout répétitive, qui s’avère trop peu détaillée pour être crédible.
Les personnages ne sont malheureusement pas plus soignés que l’histoire, laissant perplexe le lecteur auquel on impose un sentiment amoureux puissant basé sur un simple regard. Alors que les déclarations d’amour s’enchaînent sans plus d’explication, l’auteur s’attarde sur la vie amoureuse des hôtes qu’habite A : et alors, si l’on accepte facilement que les premiers adolescents rencontrés soient homosexuels, on finit par trouver totalement ridicule – et surtout, profondément malsain – que quasiment tous les personnages secondaires, qu’ils soient garçons, filles, hôtes ou simples amis, soient homosexuels, voire transsexuels. Qu’essaie-t-on d’apprendre aux jeunes lecteurs au-travers de ce roman ? L’hétérosexualité est presque totalement absente de cet ouvrage, qui s’attarde longuement sur les caresses que se prodiguent deux jeunes garçons, ou encore sur les baisers passionnés de jeunes filles dénudées qui partagent le même lit (…). Plus que décevant, cet aspect du roman me semble particulièrement dérangeant.
Difficile de se remémorer les passages agréables de cette histoire, surtout après la déception de la dernière page… Pourtant, il y a tout de même eu d’agréables moments de lecture, de ces petites phrases légères simplement bien pensées et bien écrites, qui donnent à sourire, tendres rayons de soleil qui traversent les nuages. Une jolie plume donc, mais que dessert un mécanisme d’écriture mal rodé, ou peut-être plus simplement une histoire pas assez réfléchie et trop peu détaillée.
Je ne peux nier une addiction à ce roman : je tournais les pages rapidement, avide d’en savoir plus, de comprendre qui était vraiment cet étrange personnage condamné à une vie d’errance. David Levithan prend plaisir à entretenir l’espoir du lecteur, soulevant de nombreuses questions et laissant planer le mystère… Malheureusement, les réponses n’arrivent jamais et s’enchaînent à leur place des réflexions philosophiques intéressantes mais cependant dénuées de toute finesse, créant une lassitude inconsciente chez le lecteur qui finit par se sentir comme endoctriné par un narrateur qui, à seize ans, est persuadé de comprendre tous les mécanismes du comportement humain alors qu’il ne maîtrise même pas sa propre existence.
En bref, A comme aujourd’hui est un roman malsain et dans l’ensemble décevant que je ne recommande pas – d’autant qu’il est conseillé aux jeunes lecteurs à partir de treize ans, or je doute qu’à treize ans les lecteurs disposent de la maturité nécessaire à la lecture d’un ouvrage qui aborde ouvertement la sexualité ainsi que le rapport sexuel lui-même.
Ce roman a été lu pour Les Chroniques de l’Imaginaire. Merci aux éditions Les Grandes Personnes du groupe Gallimard pour la confiance dont elles honorent notre équipe de chroniqueurs.