De tempête et d’espoir
Saint Malo
Ecrit par Marina Dédéyan
Publié le 23 janvier 2013 chez Flammarion.
Format broché, 399 pages.
Mon nom est Anne de Montfort. J’ai dix-sept ans. En cet automne 1760, je me retrouve orpheline, sans le sou, sans relations. Mon frère aîné Jean, cadet dans l’armée royale, ma seule famille, a disparu aux Indes. Est-il tombé dans cette guerre sans merci pour la domination du monde qui oppose Louis XV au roi d’Angleterre ? Croupit-il dans les geôles de Madras? A-t-il choisi de chercher fortune comme mercenaire auprès de quelque nabab ? Je veux, je dois savoir ce qu’il est advenu de lui.
Mais puis-je espérer un autre sort que celui d’entrer dans les ordres au couvent des Dames de Dinan ? Je n’ai pour moi que ma jeunesse, le prestige de mon nom et ma détermination, avec cette devise d’Anne de Bretagne que j’ai faite mienne, non mudera – je ne changerai pas. Ma cousine Apolline et son mari, armateur respecté de Saint-Malo parmi ces messieurs de la Compagnie des Indes, m’aideront-ils ? Et si je n’avais d’autre choix que le plus insensé, celui d’embarquer sur un navire, à n’importe quel prix ?
Magnifique découverte que ce roman écrit Marina Dédéyan ! De tempête et d’espoir, Saint-Malo, est la première partie d’un très beau récit historique que j’ai vraiment adoré !
« J’étais donc pauvre, me croyais vilaine, et dans quelques mois j’entrerais en noviciat avant de prendre le voile. Par conséquent, les autres pensionnaires du couvent avaient peu à craindre dans cette chasse effrénée au mari pour laquelle elles étaient toutes élevées depuis le berceau. »
La narratrice est une jeune femme de dix-huit ans prénommée Anne et que l’on surnomme affectueusement Annick. Depuis environ sept ans, elle vit dans un couvent de Dinan où elle suit un enseignement stricte et éprouvant afin d’épouser Dieu et ainsi porter le voile. Lorsque sa mère décède de fatigue et de tristesse, rongée par l’absence prolongée de son unique fils, Anne devient orpheline. Bouleversée, elle apprend que depuis trois semaines la ville portuaire de Pondichéry pour laquelle son frère Jean est parti guerroyer en Inde est tombée aux mains de l’ennemi. Ne reste qu’un champ de ruines et de nombreux morts, quand aux autres – survivants et blessés – ils ont été faits prisonniers par l’ennemi. Anne, qui comme sa mère attendait désespérément des nouvelles de son frère bien aimé, ne peut supporter que le silence de celui-ci soit une preuve de sa mort. Très vite, les cauchemars l’assaillent et les prières incessantes ne changent rien à son tourment. Anne éprouve le besoin de savoir où se trouve son frère et s’il vit toujours. Jeune femme de caractère, elle parvient à convaincre sa Mère supérieure de la laisser partir une semaine à Saint-Malo afin d’obtenir des informations de vive-voix de son cousin par alliance. Brûlante de questions et étourdie par le chagrin, Anne se débat durant une dizaine de jours pour obtenir des informations de quiconque est susceptible d’en posséder, en vain. Elle obtient certes de précieux renseignements sur les tragiques événements qui se sont déroulés à Pondichéry, mais nul ne connait son frère. Pire, ses informateurs suggèrent que son frère, comme bon nombre d’officiers et de soldats, a déserté pour rejoindre un commandement ennemi mieux dirigé et mieux payé. Anne refuse de croire à un tel acte de lâcheté et décide de se rendre par elle-même en Inde afin de retrouver son frère et de le serrer dans ses bras. Hélas, son extrême pauvreté ne lui permet pas de s’acheter une place sur un des trois navires qui prochainement partira pour les Indes. Entêtée et fière, notre Anne de Bretagne n’hésitera pas à faire de nombreux sacrifices pour sauver son frère disparu. Malgré sa jeunesse et sa touchante candeur, Anne parviendra-t-elle à survivre dans une société rude et fourbe qui ne tolère pas qu’une femme de noble sang s’éloigne de son rang ?
« Malheureux Geoffroy de Montfort, qui avait préféré périr plutôt que de céder à la dérogeance, apprendre un métier pour nourrir les siens et être banni de la noblesse. Il méprisait même ceux qui se livraient au commerce, à l’instar de notre cousin René-Auguste de Chateaubriand, ou plutôt il les plaignait de s’y être résolus par nécessité. Pourtant, il avait accepté de pousser la charrue, comme n’importe quel paysan, pour obtenir quelque moisson de nos champs. Il avait aimé les livres plus que des amis intimes, alors que nos ancêtres ne se souciaient que de tirer l’épée et savaient à peine signer de leur nom. Mon père, héros tragique dont je percevais désormais les contradictions dans son acharnement à défendre son nom, quitte à sombrer et à entraîner les siens dans sa chute. Privée de mon père, privée de ma mère, je me sentais comme un jeune arbre déraciné. Dans mon malheur, je me réjouissais toutefois de savoir que mon frère, poussé de l’autre côté du monde par les grands vents, n’eût pas à vivre ces instants là. Il est moins douloureux de se détacher de ce que l’on a aimé quand on est déjà au loin. »
L’histoire est fort jolie et très bien pensée. Si la trame n’est pas originale, le récit évite les clichés du genre et se révèle très savoureux. Je craignais qu’Anne ne soit une nouvelle Cendrillon blonde aux yeux bleus, à la fois modeste et pleurnicharde, épuisante de crédulité et dégoulinante de gentillesse. Rien que d’écrire ces lignes, j’en frémis ! Mes craintes eurent tôt fait de disparaître : certes Anne est jeune et son éducation au couvent ne l’a pas instruite de la perfidie des Hommes, mais elle apprend vite et son caractère vif et téméraire est très agréable. Sommairement décrite, c’est une grande fille aux traits masculins qui possède malgré tout un certain charme : la Nature est ainsi faite que chacune sied à plusieurs hommes. Par ailleurs, son père était un homme fort cultivé et attaché à ses ancêtres, Anne fut instruite de son savoir et s’imprégna de la bibliothèque paternelle durant son enfance, c’est donc une jeune femme érudite qui narre sa propre histoire. Est-ce le langage soutenu ou la délicieuse syntaxe soignée de chaque phrase, sont-ce les descriptions minutieuses mais toujours pertinentes, les adjectifs aussi précis que variés, les envolées lyriques qui confèrent au texte son parfum de XVIIIème siècle ? La plume délicate de Marina Dédéyan pénètre l’esprit et esquisse des paysages inconnus, transporte des couleurs et des odeurs d’un autre temps.
« La côte bretonne ressemble parfois à la fin du monde, quand elle se noie de brouillard. Des lambeaux de terre, des fragments de roche, l’à-pic d’une falaise sombre, l’ombre d’une île semblable à un dragon en sommeil, le ressac assourdi et le bruit qui se meurt en un écho lointain. Le vent s’éteint et les voiles gorgées d’humidité pendent aux vergues comme des oripeaux de sorcière. Dans le cœur des marins gronde encore la terreur de ces monstres jaillis de la mémoire des Celtes. Pourtant ce n’est pas un maléfice qu’il faut craindre, mais la traîtrise d’un écueil affleurant sous la nappe blanche. Depuis la dunette, le capitaine fronce les sourcils, sa longue-vue inutile abandonnée sur le banc de quart. »
De Tempête et d’espoir raconte avec douceur et émotions l’histoire d’Anne, mais c’est aussi l’Histoire du monde qui est racontée. Marina Dédéyan conte avec une adresse certaine les événements qui opposèrent les Français aux Anglais durant le milieu du XVIIIème siècle, sans toutefois donner à son récit des prétentions pédagogiques. Loin d’éprouver de l’ennui à la lecture de ces faits historiques, on éprouve un réel intérêt pour ces explications qui permettent de mieux pénétrer le récit et de comprendre les personnages ainsi que leurs enjeux : Marina Dédéyan est parvenue à imbriquer l’Histoire de France à l’histoire de ces personnages et à les rendre indissociables. De plus, j’ai trouvé admirable la manière dont les faits historiques sont racontés : alors que beaucoup d’auteurs usent et abusent du savoir considérable d’un narrateur externe au récit et omniscient, Marina Dédéyan a fait le choix d’un narrateur interne à l’histoire. Ainsi les faits historiques sont mis en scène, ce qui est beaucoup plus intéressant et captivant qu’une longue explication monotone et externe au récit : par exemple, on découvre ou redécouvre le contexte historique grâce aux lettres de Jean, qui est parti à la guerre et en raconte l’évolution; ou encore, on suit les événements politiques grâce aux commentaires sarcastiques ou malicieux des armateurs – ces nouveaux riches qui ne craignent pas la fureur des mers.
« Mon père comme mon cousin avaient tort de se réfugier dans cette nostalgie de la vieille chevalerie, ces rêves perdus de croisades, de combats contre les Sarrasins et de tournois. Les braves de notre époque étaient ces hommes prêts à affronter la mer immense sur leurs voiliers, armés de leur seul courage pour voguer vers l’inconnu. Certes ils étaient gouvernés par la soif de l’or, mais en avaient-ils pour autant délaissé l’honneur ?
Dans les yeux mélancoliques de Charles de Porée, dans les lagunes bleuâtres des prunelles de Jean-Baptiste Christy de la Pallière, dans le regard plein d’orages de René-Auguste de Chateaubriand, je voyais la souffrance, l’opiniâtreté désespérée, mais aussi l’ivresse des vents et du grand large, l’exultation de ces victoires remportées sur les océans. »
Il s’agit d’un roman historique savamment construit et brillamment écrit que je recommande ardemment aux amoureux de voyages dans l’Histoire et sur les océans.
« Le golfe de Gascogne a ses caprices que nul ne sait prévoir. Soudain le ciel se revêt d’un épais manteau de nuées grises. Le vent se lève. La mer gonfle. Le bateau gîte et tangue entre les vallons écumeux. Les dents serrées, les gabiers grimpent dans les haubans pour prendre des ris dans les voiles. Le capitaine et ses officiers boutonnent leurs vestes, enfoncent leurs tricornes sur leurs têtes. Branle-bas le combat contre les éléments qui ne retiennent plus leur colère, la tempête arrive. Pourtant on ne lutte pas contre la mer, on s’accommode de ses humeurs. Eviter l’affrontement, chercher ailleurs le salut. La tentation de rejoindre la terre ferme est grande, mais la côte n’offre aucun abri par gros temps des Landes aux Asturies. Estimer la position, mettre le cap vers le large et se jeter à l’ouest.
Le vent hurle de plus en plus fort. Il n’entend pas renoncer à ce dérisoire jouet de bois ballotté par la danse furieuse des flots. A l’entrepont et dans les cabines, on s’agrippe à ce qu’on peut, les mains tétanisées, le coeur chaviré. Le bateau plonge dans des creux d’une vingtaine de pieds. Chaque objet non arrimé devient un projectile mortel. Les plus courageux chantent ce qui sera peut-être leur dernier cantique. »
Je remercie sincèrement Gilles Paris et son équipe pour la confiance dont ils m’honorent, ainsi que les éditions Flammarion pour cette merveilleuse découverte.
Pour aller plus loin…
La suite de ce roman, De tempête et d’espoir, Pondichéry est à paraître en Mai 2013 chez Flammarion.
Question : Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ?
Réponse de Marina Dédéyan : An Arlac’h, l’hymne de la Bretagne, le Gâyatrî mantra, La Sarabande de Haendel, Set fire to the rain de la jeune chanteuse Adèle.
L’intégralité de l’interview en date du 12 janvier 2013 à consulter ici.