Un ciel rouge, le matin

Ecrit par Paul Lynch,

Publié aux éditions Albin Michel,

Broché, 304 pages – 20€.

(Résumé personnel)

Coll Coyle, père de famille irlandais, travaille pour les Hamilton, une riche famille pour laquelle travaillait déjà son père. Un matin, le jeune héritier Hamilton, gonflé d’orgueil et de pouvoir, lui annonce qu’ils doivent quitter les lieux – Coll, sa vieille mère, sa femme enceinte, sa petite fille – tous sont expulsés du domaine. « Pourquoi ? »
Coll remâche ce mots en silence, ce lourd silence qu’accompagne la douloureuse incompréhension. Les regards des femmes, autour de la table, pèsent lourd sur ses épaules. La colère succède bientôt à l’accablement et il se laisse dominer tout entier par cette énergie furieuse. « Pourquoi ? »
La hâche prolonge sa main dans des éclats brillants de rage, il lève le bras et s’offre tout entier à ce geste libérateur, et lorsque l’arbre plie et s’abat sous la violence de cet homme à bout de force, meurtri par son impuissance, il est terrasé par les pleurs du désespoir.
Incapable de se résigner, il décide d’aller à la rencontre du fils Hamilton, de lui faire entendre raison. Toute sa vie il a travaillé pour lui, sans jamais faire de mal. « Pourquoi ? »
Le Maître est sorti, Coll le cherche et finit par le rejoindre sur un sentier, cependant Hamilton ne daigne ni l’écouter, ni même s’arrêter. Coll insiste, le retient. Alors Hamilton descend de son cheval et crache des mots atroces au visage de son employé. Le sang bouillonne, l’esprit s’oublie. Le coup de poing vole. Hamilton recule, titube, s’affale en arrière. Sa tête heurte violemment un mur de pierre, l’homme s’effondre et déjà la matière s’écoule de la brèche crânienne. « Pourquoi ? »
Le cheval d’Hamilton, effaré, prend la fuite et alerte les employés du domaine. Affolé, Coll tente de noyer le corps dégoulinant de sang. En vain, car Faller est déjà sur les lieux. Faller, homme impitoyable et cruel, qui aimait Hamilton comme son propre fils.
Coll s’enfuit et s’enfonce toujours plus loin dans les terres, affrontant le froid et endurant la faim dans l’unique espoir de retrouver vivant sa femme et ses enfants. Hélas, Faller le poursuit sans relâche, infatiguable ombre de la mort qui semble deviner ses pensées, anticiper chacun de ses gestes. La chasse à l’homme a commencé.

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Tristement envoûtant, ce premier roman de l’Irlandais Paul Lynch révèle une plume superbe et parfaitement maîtrisée. Les phrases s’enroulent dans une sombre poésie alors que l’écrivain peint les couleurs du ciel, chante la nature et raconte la terre irlandaise du XIXème siècle. L’oeuvre se révèle sublime de descriptions entières et abouties, si pleines de vie et de charmes que l’on s’attarde sur les mots, les yeux clos pour mieux imaginer les couleurs de la nuit ou les ténèbres des flots.

« D’abord il n’y a que du noir dans le ciel, et ensuite vient le sang, la brèche de lumière matinale à l’extrémité du monde. Cette rougeur qui se répand fait pâlir la clarté des étoiles, les collines émergent de l’ombre et les nuages prennent consistance. La première averse de la journée descend d’un ciel taciturne et tire une mélodie de la terre. Les arbres se dépouillent de leur véture d’obscurité, ils s’étirent, leurs doigts feuillus frémissant sous le vent, des flèches de lumière se propagent ici et là, cramoisies puis dorées. La pluie s’arrête, il entend les oiseaux s’éveiller. Ils clignent des yeux en secouant la tête, éparpillent leurs chants à travers le ciel. La vieille terre frissonnante se tourne lentement vers le soleil levant. »

Paul Lynch utilise une palette de mots extraordinairement riche pour raconter le destin tragique de Coll Coyle, un homme simple et bouleversant d’humanité. Le récit est beau et la plume ensorcellante.

Un ciel rouge, le matin se lit pleinement, sans un seul instant d’ennui à l’horizon, et alors que l’incroyable talent de conteur de l’écrivain magnifie chaque mot de cet ouvrage, l’ensemble demeure simple et fragile, tel le souffle d’un oiseau.

« Le soir embrasse l’obscurité brûlante. Venu du trouble brasier du couchant, un brouillard rampant s’avance vers eux. Il regarde se former la nappe qui s’installe au-dessus du bateau, impalpable drap mortuaire qui ternit le ciel nocturne et étouffe la rumeur de l’océan. Toute la nuit il éprouve une espèce d’engourdissement, il se tourne et se retourne inconfortablement, son sommeil léger traversé de rêves confus, et quand il s’éveille, son haleine condensée par l’air froid et vicié, il s’enveloppe de ses bras pour se réchauffer et tend l’oreille aux terreurs de la nuit. »

Loin du récit d’aventures, ce roman s’approche au plus près de la vie et sublime le lien invisible qui relie inexorablement les Hommes à la terre, au ciel et à la Nature toute entière qui occupe une vraie place dans cet ouvrage ; au coeur même du récit, la Nature est le témoin muet du triste spectacle qu’offrent les hommes, s’entretuant devant leur mère nourricière sans témoigner le moindre respect pour ce qu’elle leur offre de plus précieux : l’essence même de la vie.

Un ciel rouge, le matin surprend par sa douceur et sa capacité d’évocation. Ce roman offre un très beau moment de lecture et, au-delà de la destinée tragique d’une poignée d’Irlandais en exil dans les terres d’Amériques, se dessine une délicate ode à la vie et à la beauté qui nous entoure.

« Il regarde le ciel qui enfle et roule sa masse sombre par-dessus les vallées. Pourvu qu’elle vienne, murmure-t-il. Les nuages étendent leur ombre sur les nuées de poussière, le tonnère gronde au-dessus de leurs têtes. Et bientôt, l’averse s’abat, un déluge qui piétine la terre, comme si un vente déchiré était en train de se débonder. Les hommes interrompent leurs tâches, certains ôtent leur chapeau pour offrir à la pluie leur visage et leur bouche ouverte, d’autres se contentent de sourire, un petit sourire de bonheur et la lumière revenue dans leurs yeux, même si au fond de leur cœur s’agitent les tristes émotions qui leur rendent leur humanité. »

Je remercie les éditions Albin Michel pour ce délice littéraire, ainsi que pour leur confiance.