Winter

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Ecrit par Rick Bass.

 

« La nuit, les coyotes hurlent, et à travers toute la vallée, les chiens de traîneau, les huskies de l’Alaska, leur répondent ; ils se lèvent et aboient jusqu’à ce que toutes les montagnes retentissent des glapissements sortis de notre cluse ; on croirait entendre Dieu sait quel village de damnés… »

Lire Winter, c’est découvrir la pureté d’un lieu encore sauvage, encore indompté par l’Homme. Un retour aux sources autant qu’une mise à l’épreuve, le rêve d’une Nature généreuse et vivante, dont la beauté réveille des sentiments enfouis en nous depuis trop longtemps. Un espace comme un paradis perdu regorgeant de faunes et de flores diverses et merveilleuses, de cascades éclaboussantes, de prairies enneigées et d’arbres géants aux troncs noueux, parfois pliés sous le poids de leur sagesse.

« C’est parfois tout à fait merveilleux de découvrir qu’on était dans l’erreur, qu’on est ignorant, qu’on ne sait rien, peau de balle. Comme ça, on peut recommencer. C’est comme la première neige qui tombe chaque année. Elle ne fait aucun bruit, mais c’est la force la plus puissante que l’on connaisse. Plus tard dans l’hiver, les arbres crépiteront, éclateront, se fendront en deux. Les choses s’ouvrent, on apprend. On apprend comment c’est en réalité. »

Si les difficultés d’emménager dans un endroit reculé de la société sont nombreuses, Rick Bass les rend insignifiantes – seule compte cette chance, unique et fabuleuse, qu’ont su saisir l’auteur et sa fiancée de vivre dans un coin reculé du Montana, encore ignoré du monde. Loin d’être le reflet fidèle de leurs journées, Winter est le journal de leur découverte progressive de l’Hiver. Journal d’initiation à la nature dans ce qu’elle a encore de plus beau et de plus sauvage à nous offrir, ces pages sont également douloureuses pour le lecteur contemporain qui ne peut que constater, accablé, les tristes changements apportés par l’Homme à une Nature qui était pourtant merveilleuse.

« On était au début de septembre et je me dirigeais, littéralement, vers la dernière route des Etats-Unis, une piste en gravier et terre battue, parallèle à la frontière canadienne, là haut dans les monts Purcell, au fin fond du Montana. C’était comme de partir au combat, ou de tomber amoureux, ou d’émerger d’un rêve délicieux, ou d’y sombrer : comme de marcher dans de l’eau froide par un jour d’automne. Des feuilles tombaient en tournoyant sur ces routes noires, les traversaient poussées par le vent. Quelquefois, après m’être arrêté pour piquer un bref roupillon, assoupi sur la grande banquette, les chiens pelotonnés par terre à mes pieds, je me réveillais, et les feuilles couleur d’automne, collées sur le capot jaune et le pare-brise de la camionnette, le recouvraient entièrement ; et moi, je frissonnais presque. »

« Des sabots de Vénus fleurissent tout le long du chemin, et l’on sait qu’on approche de la chute d’eau quand l’air prend cette consistance négative, comprimée, plus lourde que la pesanteur – la forêt entière vibre ; presque aussitôt on l’entend. »

L’écriture de l’auteur ne se veut ni romanesque, ni séduisante, elle n’en est cependant que plus efficace. Les pages se tournent, et je m’éprends du bois. Ce bois que le narrateur décrit presque avec amour, toujours avec respect. Ce bois, source de vie et de chaleur, œuvre remarquable d’une Nature ingénieuse.

« Des flaques de soleil sur le foin, sur les herbes sèchent de la fin de saison ; des bûches de bois vert pétaradent et cognent contre les parois du vieux poêle en fonte de la serre où j’écris. Je songe au plaisir que je prends à me procurer du bois. Je n’arrête pas de geindre à ce sujet, et certains matins, après avoir travaillé trop dur, après être allé au-delà de mes possibilités, de mes capacités, après m’être consumé à la tâche, je n’arrive pas à me lever – et pourtant je prends vraiment, vraiment beaucoup de plaisir à le faire : soulever les énormes billots, les charger dans la voiture, les rapporter à la maison, les fendre, les ranger, voir le tas monter de plus en plus haut, la forteresse, notre protection contre le grand froid, la monnaie du Grand Nord, qui jonche déjà les forêts, qui attend que je vienne la ramasser, qui ne coûte rien, il n’y a qu’à se baisser pour le prendre. »

« On aurait pu nicher un service à thé sur le vaste berceau de ses bois sans qu’il en renverse une goutte, tant son allure était facile et unie. »

Entre remises en question écologiques et dangers de la mécanique, la prose de l’auteur s’attarde sur des anecdotes, contes de l’hiver ou simples récits d’une journée de labeur.

« Hier soir, il faisait froid dans la maison. Nous nous sommes endormis par terre devant la cheminée, agréablement réchauffés après notre dîner, tétra au citron (dégoulinant de graisse et succulent), riz sauvage, pain maison, pommes de terre sous la cendre, et la dernière salade de la saison. Ce matin, il ne faisait pas chaud. J’ai préparé le café sur la cuisinière au propane de la cuisine, et, pendant que l’eau chauffait, j’ai tendu les mains au-dessus de la minuscule flamme bleue, qui sifflait et crachait. Quand l’eau s’est mise à bouillir, je n’avais aucune envie de les enlever de là. J’aurais aimé rester ainsi toute la journée. »

Le journal se consacre presque exclusivement à l’Hiver, ce qui rend la lecture très agréable et surprenante. Si le quotidien de l’auteur s’immisce parfois entre les lignes, c’est pour mieux nous faire comprendre et ressentir ce qu’est l’Hiver – non pas une grande vague de froid qui s’abat sur les Hommes durant quelques mois, mais plutôt une Nature vivante qui évolue, à laquelle tous nous devons nous adapter pour mieux la comprendre et l’apprécier.

« De gigantesques lièvres blancs et dodus, comme des magiciens, des lièvres aussi gros que des félins de bonne taille, se cachent dans l’obscurité des bois, attendant la neige salvatrice. Leur évolution s’est prolongée pendant tous ces milliers d’années : les benêts ont été éliminés il y a déjà bien longtemps, les lièvres du genre je-deviens-blanc-sans-savoir-pourquoi ; ceux qui viraient au blanc alors que la neige n’était absolument pas en route, ou bien ceux qui changeaient trop tôt, ne trouvaient pas de cachette, et finissaient donc par être rapidement dévorés, par être la proie des loups, coyotes, faucons, chouettes, lynx, pumas, et j’en passe. Et aussi les lièvres qui restaient bruns, ceux qui ne devinaient pas l’approche d’un rude hiver et ne s’y préparaient pas : à la trappe, pareillement.

Donc, je me dis que ces lièvres-là savent ce qu’ils font. C’est quand même remarquable de risquer sa vie ainsi, chaque année, deux fois par an même, parce qu’ils doivent bien savoir aussi à quel moment il faut redevenir brun. »

Au cœur de l’hiver, quand la Nature s’impose et que le froid envahit chaque objet et chaque être vivant, alors l’écrivain devient poète. Ses mots tourbillonnent sous notre regard fasciné, tombent sur les pages blanches, manteaux de neige. L’écriture se fait charmante de beauté et de vérité, reflet de l’hiver – plus simplement, reflet de la vie.

« Si vous regardez la neige par la fenêtre, et même si vous regardez plus loin, en vous efforçant de distinguer, à travers les flocons, les bois de l’autre côté de la prairie, elle donne l’impression de tomber très vite, et votre vie, si vous lui permettez de vous jouer le même tour, peut vous sembler tout aussi précipitée et frénétique. Mais si vous prenez soin de regarder la neige avec les yeux d’un enfant ou d’un Texan – le nez en l’air, en essayant de comprendre d’où elle sort – alors la lenteur avec laquelle elle tombe, la paralysie de son voyage vous feront aussitôt choir dans un état plus bas, plus lent, où vous serez assuré de vivre deux fois plus longtemps et de voir deux fois plus de choses, et d’être pour finir deux fois plus heureux. La neige est plus merveilleuse que la pluie, plus merveilleuse que tout. »

L’hiver mystérieux se termine, s’achève en un souffle, petite brise soudaine que l’on sent différente. Un sentiment d’abandon, de tristesse nous envahi. Ce froid que nous redoutions tant, nous avons appris à le connaître et à l’aimer. Nous avons vécu en harmonie avec lui, au cœur de ses journées les plus difficiles – et il disparaît. Enchantement ou désenchantement ? Le printemps arrive, nouvel invité qu’il faudra savoir accueillir.

« Le danger de se laisser aller à songer au printemps – l’herbe verte, les balades, les pieds nus, les lacs, la pêche à la ligne, les cours d’eau, et le soleil, le soleil brûlant –, c’est qu’un fois que de telles pensées pénètrent votre esprit, il est impossible de les en chasser.
Aime l’hiver. Ne le trahis pas. Sois loyal.
Quand le printemps arrivera, aime-le, lui aussi – et ensuite l’été.
Mais reste loyal à l’hiver, d’un bout à l’autre – j’ai dit d’un bout à l’autre, et d’un cœur sincère – sans quoi tu te retrouveras en carafe, appelant de tes vœux un printemps encore lointain, alors que l’hiver t’aura abandonné, et qu’à sa place tu trouveras ce qu’on appelle la fièvre des cabines, une claustrophobie carabinée de la pire espèce.
Plus l’hiver sera froid, plus tu l’aimeras. »

 

  ~~~~~~ Pour aller plus loin  ~~~~~~

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Je vous invite à découvrir ou redécouvrir Nuit de Neige, doux poème de Guy de Maupassant. 

13 comments

  1. wepierre says:

    Comme à l’habitude, j’ai adoré lire ce recit.

    J’aimerai beaucoup tout laisser là et partir à la découverte de ce paysage et y vivre un hiver, observer la neige en se demandant d’où elle vient, et de freiner le temps qui passe

     

    encore bravo, j’attends les autres ouvrages !

  2. Jennifer says:

    Peut-être un jour y habiterai-je et alors pourrai-je t’inviter…

    Merci de m’avoir lue :)

    Gros bisous

  3. agnes says:

    coucou Jennifer, je viens de voir que tu as un blog, je prendrai le temps de le découvrir dans les prochains jours car vue l’heure tardive, je dois me coucher !!

    à bientôt

    agnès des Petites croix et Gourmandises

  4. Jennifer says:

    Bonsoir Agnès !

    Je suis ravie de ta visite :) !! Je ne m’y attendais pas, et cela me fait drôlement plaisir ^^

    Aimes-tu lire? Si oui, quel genre de lectures?

    Encore une fois, si tu as besoin d’un modèle en broderie, n’hésite pas à demander mon aide ;) 

    A bientôt j’espère !

    Amitiés

    Jennifer

  5. Jennifer says:

    Je suis ravie de t’avoir convaincue, que ce soit par les extraits du journal ou par mes impressions post-lecture :)! N’hésite à venir me laisser un message, si tu le lis! :) @ bientôt!

  6. Jennifer says:

    Il fallait au moins cela – de belles photos – pour commenter cette charmante lecture :) Merci pour ton passage, et pour ton commentaire qui me touche … @ bientôt ;) !

  7. Saule says:

    Le plaisir de découvrir un blog qui s’ouvre sur « Comme des ombres sur la terre », « Amarok », « Winter », et d’y lire
    « les pages se tournent et je m’éprends du bois », laisse augurer de prometteuses balades dans ces « Rêveries-littéraires »…

    Il est 18h15, j’entre dans la forêt…

  8. Jennifer says:

    Quel plaisir de trouver un autre amateur, pour ces cueillettes littéraires… Prends un panier, car la promenade sera longue, et les trouvailles probablement nombreuses… Très heureuse de
    t’avoir à mes côtés :)

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