Ecrit par Thierry Bizot,
Paru le 22/05/2014 aux Editions Points,
416 pages, 7€70.
Sauf miracle, bien sûr est un récit autobiographique emplit d’une humanité qui saisit le lecteur à la gorge, tant il dresse le portrait fort et poignant d’un être humain comme tant d’autres, tout en défauts et inquiétudes, cheminant lentement dans l’apprentissage de la foi – mais aussi de la vie.
Pourtant, les premières pages se révélent tout à fait décevantes. En effet, lorsqu’on lit la quatrième de couverture, «Ma vie n’est plus tout à fait la même, car mon nouveau boss, c’est Jésus. », on pense s’ouvrir à un texte beau et émouvant à propos de la foi et de ce rapport particulier et intime qu’entretient l’auteur, Thierry Bizot, avec Jésus. Or, les cent premières pages de cet ouvrage se révèlent narcissiques et peu intéressantes, comparables à un tube de concentré de Thierry Bizot que l’on achéterait au supermarché : quelques pages, la dose est savoureuse, une centaine de page, l’assiette est écoeurante.
Que raconte vraiment cet homme ? Certainement pas ses convictions religieuses, ni sa véritable foi. Certes, il narre brièvement et avec délectation la même anecdote qu’il répète inlassablement lors de ses fameux témoignages publics : ça rencontre incroyable et heureuse avec Jésus, grâce à un petit catéchèse minable ; cependant, ce qu’il raconte réellement dans cette première partie de Sauf miracle, bien sûr, ce sont ses allées et venues médiatiques. En cent pages et sous un air faussement modeste, Thierry Bizot raconte avec suffisance le « petit effet » qu’a produit son précédent ouvrage, Catholique anonyme : le voici appelé à témoigner dans des associations religieuses, des écoles, des petites soirées, le voici encore suscitant l’intérêt de collègues, amis et inconnus de toute sorte, car lui, l’homme des media -Thierry Bizot est producteur pour la télévision – s’est confié personnellement et au monde entier sur un sujet aussi tabou que la foi chrétienne.
Faut-il arrêter sa lecture à la page 131, lorsque l’auteur raconte qu’il s’est fait très gentiment invité à une petite soirée pour témoigner de sa rencontre avec Jésus et, alors qu’on lui offre une part de quiche et que la soirée se poursuit en douceur par des chants religieux et fraternels, qu’il transcrit ainsi ses pensées : « Je mâche inlassablement un bout épais de croûte de quiche, dont je ne sais si je pourrai l’avaler sans me provoquer une occlusion intestinale. (…) Quand je reviens, ils se tiennent tous par les épaules et chantent des chants joyeux qui me plongent dans une morosité abyssale. Une main se pose sur mon épaule, une autre me tend un impimé sur lequel figurent les textes des chants et je fais hypocritement semblant d’ânonner. Ils finissent quand même par se taire. » Je faisais une overdose de Thierry Bizot.
En seulement cent pages, cet être apparaît prétentieux, orgueilleux et si imbu de lui-même qu’il ne peut s’empêcher de critiquer, constamment, les êtres humains pourtant simples et généreux dont il fait la rencontre. J’étais lassée de cet écrivain au jugement hâtif et méprisant : « Je passe trois fois devant la brasserie où doit se dérouler cette première prise de parole ; j’ai repéré un bonhomme en blazer et nœud papillon qui semble m’attendre devant l’entrée. Cet accoutement de petit notable en mal de reconnaissance me fait penser à ce que j’imagine être la tenue d’un membre du Rotary ou d’un de ces clubs où les hommes se réunissent pour se donner de l’importance. »
En outre, la plume fatigue tout autant que le sujet, car si la syntaxe est agréable et le vocabulaire varié, les choix narratifs ne sont pas des plus intelligents. En effet, il apparaît très clairement que Thierry Bizot n’a pas écrit cette autobiographie pour lui, mais pour ses futurs lecteurs. Dès lors, il a volontairement choisi de faire du lecteur lambda une sorte de bon copain pas très malin qu’il prend soin de guider par des comparaisons souvent enfantines, divers clins d’oeils coquins et surtout par une désagréable vulgarisation de l’ouvrage ayant pour objectif de rendre accessible au plus grand nombre ce qu’il considère comme d’intelligentes pensées. D’ailleurs, page 108, l’écrivain n’hésite pas à confier le succès de ses petits procédés d’écriture : «C’est vrai que dans ma description je n’y étais pas allé avec le dos de la cuillère. Ce récit partial et injuste avait pourtant contribué au succès du livre, notamment auprès des déçus de l’Eglise, trop contents de retrouver noir sur blanc la représentation exacte de l’idée qu’ils se faisaient des cathos pratiquants. Qu’en avait pensé les intéressés, ces compagnons de catéchèse ridiculisés aux yeux de tous ? » Voici donc une écriture condescendante, méchante et consciente de l’être, qui puise dans le mépris et la critique facile sa force de conviction.
Dès lors, comment ce texte, dont les mots ont été malaxés pour plaire au plus grand nombre, peut-il finalement devenir un coup de cœur émouvant ? Il faut courageusement poursuivre sa lecture pour le comprendre.
Au fil des pages se dessine le portrait d’un homme certes plein de défauts, mais qui essaie de se corriger, de se grandir par l’apprentissage de la foi ; on découvre que derrière cet homme grisé par le succès se cache un grand enfant qui reconnaît parfois ses fautes et, au-travers de rencontres pleine d’humanité et de compassion, essaie de comprendre comment il peut mieux vivre, pas seulement pour lui, mais aussi pour ses proches.
Ses interrogations, principalement mystiques et philosophiques, sont communes à beaucoup d’êtres humains et, malgré le caractère prétentieux de cette plume qui répète inlassablement « moi », « me », « je », la magie finit par opérer malgré nous et l’on se laisse habiter par l’humanité de cet ouvrage si plein d’inquiétudes, de questionnements et surtout, de possibles réponses.
Je crois que ce sont les petits textes cités dans l’ouvrage qui m’ont le plus touchée et encouragée dans cette lecture : des e-mails intelligents échangés avec une moniale, des lettres pleines de sagesse reçues d’une vieille dame de quatre-vingt dix-neuf ans, des commentaires réfléchis écrits par des blogueurs… Ces fragments de sagesse sont dispersés dans ce petit ouvrage, cailloux blancs du chemin difficile emprunté par Thierry Bizot et, le temps de quatre cents pages, par son lecteur.
« (…) Vous êtes un enfant de l’univers, pas moins que les arbres et les étoiles ; vous avez le droit d’être ici. Et qu’il vous soit clair ou non, l’univers se déroule sans doute comme il le devrait. Soyez en paix avec Dieu, quelle que soit votre conception de Lui, et quels que soient vos travaux et vos rêves, gardez dans le désarroi bruyant de la vie la paix de votre âme. Avec toutes ses perfidies, ses besognes fastidieuses et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau. Prenez attention. Tâchez d’être heureux. » 1692, anonyme, église de Baltimore.
Sauf miracle, bien sûr s’achève avec le sentiment d’une bonne lecture. Ce n’est bien sûr pas son esthétique littéraire qui séduit, pas plus que la connaissance qu’il apporte de son auteur ; c’est en définitive la part d’humanité de ce texte, universelle et sincère, qui en fait un bon texte, porteur de sens et vecteur de réflexions. Un petit ouvrage capable de laisser son empreinte chez le lecteur et de lui apporter, parfois, une sérénité bienvenue.
« (…) un texte de Jehanne, adressé à sa descendance :
« Je ne laisserai pas d’autre message que ceci. Ne perdez jamais deux qualités majeures pour traverser la vie et même la rendre heureuse : le courage, même si l’on a apparemment tout perdu, et la générosité, qui engendre le pardon.
Enfin et surtout, n’oubliez pas qu’au-dessus de toutes les qualités humaines il y a cette lumière, ce don merveilleux offert au cœur de l’homme, celui de savoir aimer.(…) »»