Ecrit par Antonio Skarmeta,
Parution le 15/05/2014 aux éditions Points,
256 pages, 6€70.
(Résumé personnel)
Les jours de l’arc-en-ciel s’intéresse au référendum de 1988, alors que Pinochet, à la tête du Chili depuis quinze ans, offre pour la première fois une véritable chance à l’opposition de s’exprimer librement. Ce plébiscite offrira au peuple la possibilité de voter « oui » ou « non » pour que le général Pinochet continue de diriger d’une main ferme le Chili.
On pourrait croire ce vote d’une simplicité évidente, tant il paraît absurde que ce peuple martyrisé puisse voter en faveur de son dictateur et bourreau, cet homme qui engendre chaque année des centaines de disparus – emprisonnés, torturés, déportés, assassinés – et soumet quotidiennement la population à une censure terrible et autoritaire.
L’art d’Antonio Skarmeta est d’être parvenu à mettre en mots, au moyen d’un très court roman, toute la difficulté d’inciter un peuple soumis et habitué à se soumettre à voter pour le changement.
Ainsi, il faut non seulement convaincre les Chiliens que leur vote sera écouté et que ce référendum n’est pas une énième ruse du dictateur pour massacrer les derniers opposants au régime, mais il faut surtout leur redonner le goût de la liberté ainsi que la volonté de croire en la démocratie.
« -Si tu diriges la campagne du non, ta visibilité te protégera. Ils ne peuvent pas organiser un plébiscite démocratique, et assassiner le directeur de campagne de l’opposition !
Bettini se frotta vigoureusement les paupières. Tout était si affreusement quotidien et réel, mais demeurait encore le frêle espoir que ce soit un mauvais rêve.
-J’admets que ton argument est bon. Malgré tout, il y aurait encore une autre raison de ne pas accepter.
-Dis-moi ?
-Pinochet a bombardé le pays de publicité pendant quinze ans, et à moi, on ne m’octroie que quinze minutes à la télé. C’est le combat de David contre Goliath.
-Adrian ?
-Oui ?
-Qui a gagné ?
-Qui a gagné quoi ?
-La bataille de David contre Goliath ? »
L’auteur Antonio Sharmeta alterne le point de vue du publicitaire Adrian Bettini, chargé de la campagne pour le « non », avec celui du jeune Nicomaque Santos, reflet d’une jeunesse possédant encore la force d’espérer, afin d’offrir au lecteur un éventail de personnages qui représentent la pluralité des opinions de l’époque.
Les Chiliens, peuple terrorisé par quinze années d’oppression et dont l’esprit collectif est constamment martelé par des programmes publicitaires abrutissants, sauront-ils croire en l’arc-en-ciel succédant à la tempête que symbolise ce « non » à Pinochet ?
Cette jeunesse qui n’a connu que la tristesse d’un peuple privé de ses droits et qui s’avoue pressée de fuir le pays pour accéder, au-delà des frontières, à une liberté fantasmée, saura-t-elle retrouver la foi en sa patrie ?
Comment convaincre une population accoutumée à ce qu’un seul homme contrôle la nation d’une main de fer qu’il est réellement possible que ce dernier se retire sans que le pays ne s’effrondre brutalement ?
Les jours de l’arc-en-ciel semble avoir été écrit avec cette simplicité déconcertante qui révèle le talent véritable. Ainsi, la plume remarquable de ce romancier chilien permet de comprendre avec facilité les importantes difficultés rencontrées par le responsable de campagne Adrian Bettini pour symboliser en seulement quinze minutes tout ce que ce « non » peut offrir de libertés retrouvées à un peuple asservi.
Les rapports humains sont décrits avec une extrême finesse, offrant à ces quelques pages un souffle de réalisme saisissant. L’espoir succède lentement au découragement général, la joie pénètre avec douceur l’âme des Chiliens et se dessine le 5 octobre 1988 un avenir aux couleurs de l’arc-en ciel…
« Elle se fait plus petite et plus menue dans mes bras. Ses cheveux châtains retombent librement sur ses épaules, et il ne reste plus un seul souvenir de la discipline scolaire dans sa chevelure, plus d’épingles, plus de pinces, plus de barrettes qui empêchaient ses cheveux de lui tomber sur le visage. (…)
-Tu es prêt ? Me demande-t-elle.
Elle veut savoir si je suis prêt. Cela fait des jours que j’ai décollé. Je vis dans le pays du non et je sens dans chacun de mes nerfs que jamais plus on ne me l’enlèvera. Je le sens dans le pouls de mes poignets, dans mes tempes qui battent fougueusement.
Et dans mon érection. »
…un avenir ni blanc, ni noir, ni rose, mais plutôt un champ des possibles multicolore qui demandera encore beaucoup de sueur et de volonté aux Chiliens pour atteindre une démocratie véritable.
« L’ex-ministre Fernandez se leva à son tour et applaudit Nico, de concert avec Bettini.
-Nous reprendrons le pouvoir, Bettini, lui glissa-t-il à l’oreille. Cette fois pas à pas, à tout petits pas, vote après vote.
-Ce sont les velléités de la démocratie. Ce que nous avons conquis au prix du sang, de la sueur et des larmes, vous allez pouvoir en jouir sans lever le petit doigt. Un jour, l’exagération des statistiques parlera en votre faveur. C’est la règle du jeu. Applaudissements, Monsieur le ministre. L’essentiel, c’est que vous ne trucidiez plus les gens. »
Un excellent ouvrage sur la reconquête de la liberté, à lire pour s’instruire et se souvenir.