Ecrit par Martin Suter,
Publication le 10/04/2014 aux éditions Points,
320 pages, 7€40.
(Résumé personnel)
Quadragénaire morne et usé, un pied dans la tombe et l’autre dans le vide, Peter survit depuis un an au meurtre de sa femme en rêvant chaque soir de son assassin, qu’il imagine tuer violemment de nombreux coups de pistolet. Comptable décérébré, Peter aligne les chiffres puis rentre chez lui pour boire plusieurs bières, debout contre sa fenêtre, scrutant inlassablement le paysage extérieur – comme si celui-ci pouvait lui chuchoter le nom du meurtrier de sa femme, Laura.
Un soir cependant, il lui semble bien que quelque chose a changé. Cette sensation de malaise, ressentie le soir où Laura fut assassiné en bas de son immeuble, l’opprime de nouveau sans qu’il puisse l’expliquer. Peter observe intensément les maisons voisines, les véhicules, les routes. Finalement, il prend un cliché témoin de l’ensemble et le compare le lendemain à un ancien cliché de ce même paysage. Il découvre alors qu’un vieil érable, remplacé un an plus tôt par un jeune érable nain, a retrouvé sa place exacte dans le jardin du voisin. Autre changement inexpliquable, le pommier, élargi par le temps, a diminué de moitié, comme soudainement rajeunit. C’est étrange, guère plus.
Pourtant, Peter va ressasser cette histoire de plantation jusqu’à frapper chez son voisin, Albert Knupp, un vieux jardinier semblant céder à la folie puisque de jour en jour et sous les yeux de Peter celui-ci s’acharne à rajeunir son jardin – plantant, déraçinant, déplaçant, tronçonnant. Que cache Albert ? Serait-il aliéné au point d’avoir assassiné Laura ? Peter se perd en conjonctures, oubliant à quel point la vieillesse handicape ce voisin casanier et bizarre.
Or, Albert va se révéler bien plus excentrique que le révèlent les apparences. Le vieillard va exposer à Peter sa théorie à propos du temps : il n’existe pas. Les changements, la vieillesse existent. Le temps n’est qu’une invention de l’Homme pour justifier les modifications des êtres et des matières ainsi que leur donner un sens. Le temps n’est rien.
Dès lors, ce convaincu va demander à Peter de l’aider dans son expérience : restaurer sa maison et tout ce qui se trouve dans un périmètre de vingt mètres tel que tout s’y trouvait vingt-et-un an plus tôt : car si le temps n’existe pas et qu’un moment d’existence ressemble parfaitement à un autre, alors l’épouse d’Albert ne peut que réapparaître, piégée dans cette boucle d’images intemporelles.
Si cette expérience fonctionne, alors Laura pourra de la même façon réappaître dans la vie de Peter.
Rembobiner les images pour revenir à cette séquence heureuse de la vie de Peter, lorsque Laura été à ses côtés, pleine de vie et d’humanité ? Est-ce possible ? Peter en doute et n’ose croire Albert.
Alors, celui-ci lui montre une photo : le possible meurtrier, que le vieil homme a photographié par hasard, lors de ses essais. Le marché est simple : si Peter l’aide chaque jour, Albert lui remettra petit à petit tous les éléments photographiques en sa possession. Alors, à défaut de faire revivre Laura, Peter pourra enfin donner corps à sa vengeance.
« -Tentez d’accepter un bref instant l’idée qu’il n’existe pas de temps. Il n’y a que des modifications. Si celles-ci disparaissent toutes, ce que nous nommons le temps s’arrête. D’accord ?
Taler le laissa parler.
-Maintenant, un pas de plus : nous choisissons un moment donné du passé et nous remettons dans son état d’origine tout ce qui a changé depuis. Alors nous devons, à coup sûr, physiquement, nous retrouver à ce moment-là. Logique ?
-Logique, certes, mais comment voulez-vous effacer les modifications ?
Knupp lui lança un regard de défi.
-Avec votre aide. »
Grâce à l’énigme policière de départ, elle-même soutenue par le mystère qui enveloppe ce voisin excentrique, Le temps, le temps parvient à attirer suffisamment l’attention du lecteur pour que celui-ci se laisse captiver par cette histoire plutôt loufoque. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance !
En effet, la plume de Martin Suter se montre dès les premières pages extrêmement maladroite, accumulant de lourdes descriptions qui écrasent le lecteur sous une avalanche de détails insignifiants. Si les piètres choix narratifs de ce romancier suisse en effraieront plus d’un, les plus persévérants comprendront par la suite que certaines de ces précisions ont un véritable intérêt pour l’intrigue, hélas desservie par une écriture molle et engluante, aussi désagréable qu’inefficace.
« Une Nissan grise vint se garer sur l’une des quatre places de parking aménagées devant l’immeuble. Entre la Citroën de Taler et la Lancia des nouveaux locataires, dont il ne connaissait pas encore le nom. Keller descendit, ôta sa veste du siège arrière, la passa, attrapa sa sacoche, verrouilla la voiture avec la télécommande de sa clef de contact et marcha vers la boîte aux lettres. (…) La dernière des quatre places de stationnement, dont chacune était pourvue d’un écriteau frappé du numéro d’immatriculation de son utilisateur d’origine, était encore libre. Elle appartenait à Mme Feldter, dont l’usage du parking…»
La possibilité d’un voyage hors du temps offre au roman un nouveau souffle et permet à la plume de Martin Suter de trouver un peu de vigueur et une fluidité naturelle plus appréciable. Cependant, que l’on ne s’y trompe pas : le style est plat, le vocabulaire plus technique que spirituel et l’ensemble demeure très terne, sans trait d’humour ni jeux d’esprit pour pimenter ces pages moroses.
Maigre avantage de cette ambiance particulièrement fade, la narration colle parfaitement au personnage principal, quadragénaire endeuillé que l’on imagine fatigué, maussade et invariablement de sombre humeur.
« Taler se confectionna un sandwich au salami, alla chercher une bière dans le réfrigérateur et s’installa sur le canapé sans allumer la lumière.
Lorsqu’il revint de la cuisine, un quart d’heure plus tard, avec sa deuxième bière, il se posta à la fenêtre et regarda fixement l’obscurité trempée par la pluie. »
Finalement, c’est la possible inexistence du temps qui fascine et encourage la lecture : on éprouve le besoin de voir se concrétiser l’expérience imaginée par Albert et, plus que tout, on ressent l’envie de croire à ses théories farfelues et d’assister enfin à la résurection de son épouse.
Cela justifie-t-il réellement ces pages entières de détails techniques et d’explications scientifiques ?
Au fil des pages, le roman semble se transformer en journal de bord d’une expérimentation inédite, pullulant de détails aussi encombrants que dénués d’intérêt pour le lecteur qui, cette fois, est véritablement saisit par l’ennui. S’accrocher au récit devient pénible, synonyme d’une lecture malchanceuse.
« A quelques exceptions près, les plantes étaient déjà choisies et mises de côté chez Wertinger. Le matériel nécessaire était quant à lui stocké chez Berio : des dalles de béton à gravier issues de l’entrepôt de récupération, pour la reconstruction de l’ancienne terrasse de jardin. Et l’espalier original, que l’on avait reconstitué à partir de bois équarri et délavé par les intempéries, imité de celui de la façade de Knupp. Les volets que Betrio avait arrachés à force de persuasion aux propriétaires de l’une des maisons identiques à l’autre bout de la rue, et remplacés par de nouveaux volets aux normes en plastique. La clôture du jardin, qu’il avait elle aussi dénichée dans l’entrepôt d’un récupérateur et dont il avait adapté la couche de lasure à celle de Knupp. Quatre grands pots en terre cuite, identiques(…)»
Les fins alternatives proposées par Martin Suter semblent démontrer que l’auteur lui-même n’était pas satisfait de ses choix narratifs et doutait vraisemblablement de l’efficacité de son histoire.
J’ai détesté ce choix qui m’était imposé tel un point d’interrogation final à un texte dénué de toute saveur. Cette ultime hésitation de l’écrivain eut raison de mon indulgence : la théorie développée au sujet du temps, intéressante quoique très imparfaite, ne justifie pas de s’imposer la lecture d’un ouvrage non seulement assommant mais surtout très maladroitement écrit.
Seul digne d’attention, ce petit poème fort sympathique découvert dans les pages de remerciements :
« Le temps, le temps
Il fait un long voyage,
Il court, il court,
Vers l’éternité. »