Ecrit par Aymeric Patricot,
Publication le 06/02/2013 aux éditions Léo Scheer,
Format broché 18,8 x 12,6 – 180 pages.
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L’homme qui frappait les femmes est l’un de ces romans dont je ne saurais dire si je l’ai apprécié ou non : ainsi, je n’écrirais pas qu’il s’agit d’un bon livre, mais plutôt d’un texte intéressant.
Le titre est explicite et l’on ne pourrait résumer plus simplement l’histoire, celle d’un homme qui aime frapper les femmes. Le roman est court mais la lecture est néanmoins difficile car le thème abordé est non seulement profondément immoral, mais en outre les faits sont racontés sans honte ni aucun remord ! En effet, à la façon d’un journal intime, le récit fait l’apologie des exactions commises par le narrateur depuis son adolescence. Cependant, ce texte est écrit d’une telle manière qu’il s’apparente plus à une confidence couchée sur le papier une nuit d’insomnie : j’imaginais ainsi un vieil homme fatigué de lui-même et s’abandonnant à ses souvenirs, ses yeux vitreux tournés vers l’intérieur, s’observant tel qu’il fut durant toutes ses années sans parvenir à en saisir l’effroyable vérité. Un fou ? Ainsi, bien que le récit se concentre sur les violences commises envers les femmes, il ne s’agit pas du thème véritable de ce roman : bien que sous-jacente à l’histoire, c’est la psychologie du personnage qui est approfondie par l’auteur et doit retenir l’attention du lecteur.
« J’éprouvais cependant de grandes lassitudes. Il y avait quelque chose de lisse et de monotone dans la succession des semaines, et même d’insupportable : ce n’était donc que ça, le bonheur ? Certains jours, l’excitation de mes dérapages me paraissait désirable. Je l’imaginais se répandre sur ma vie. Mais il fallait tenir, car il était impensable de me livrer en pleine lumière à mon penchant. »
Le récit relate la vie du narrateur, toutefois les années qui composèrent sa vie sont peu développées et très succinctes. Dès lors, le lecteur prend rapidement conscience que les seuls éléments qui marquèrent son existence et dont il se souvient dans sa vieillesse sont les femmes qu’il rencontra et les actes violents auquel il s’adonna. Malheureusement, il est difficile de se sentir captivé par ce roman car, si l’on met de côté les descriptions de la violence qui s’empare du narrateur, les personnages sont extrêmement creux : le texte compte difficilement quelques descriptions physiques ou traits de caractère et il n’y a aucune matière derrière leurs prénoms. Rien, sauf peut-être leur sexe ? Ainsi, le texte se résume à des hommes et des femmes sans visage, sans personnalité, sans passé : il s’agit d’un homme violent et tourmenté qui bat des femmes qui ne sont que cela, des femmes battues. Il s’agit d’un choix littéraire intéressant car le lecteur est amené à lire le récit d’une vie qui devient rapidement le récit d’un vice : progressivement, les quelques descriptions des premières pages disparaissent pour laisser plus de place à la violence qui grandit avec le narrateur. Cependant, la violence détruit le texte comme elle détruit le narrateur car il est laborieux de lire un récit qui ne comporte aucun sentiment. En concentrant son écriture sur le vice qui habite le narrateur, Aymeric Patricot a oublié qu’un texte, pour être lu et apprécié, doit contenir des émotions ainsi que quelques traits de caractère marqués afin de donner de l’épaisseur aux personnages et de permettre au lecteur de s’identifier à l’un d’eux – ou au moins, de se les rendre familiers. Hélas, ce texte n’est absolument pas vivant et le lecteur est contraint de demeurer à l’extérieur de l’histoire, tel un spectateur inconnu et indésirable.
« Je me suis alors enfermé avec ma femme, et ma fureur a fini de s’en donner à coeur joie. J’espérais que mon fils oublie tout ce qu’il avait vu. Nous devions nous-mêmes être suffisamment forts pour surmonter ces cauchemars, et c’était un cri qui perçait en moi, sans auteur ni destinataire, un cri terriblement puissant que personne n’entendait mais qui me blessait, infiniment. »
Par conséquent, le récit est entièrement construit autour de la violence qui habite le narrateur, le domine et le plie chaque jour à frapper des femmes. J’ai parfois eu le sentiment qu’il ne s’agissait pas d’un roman, mais plutôt d’un essai : j’ai eu la désagréable sensation qu’Aymeric Patricot souhaitait convaincre ses lecteurs que les pires êtres ne sont parfois que les victimes malheureuses d’un esprit dément et torturé. Ceci peut être vrai, d’ailleurs on l’entend fréquemment dans les tribunaux, mais cela n’excuse en rien les actes perpétrés. La folie d’un homme ne peut excuser sa folie envers ses semblables ! Je pense que la démarche de l’auteur est maladroite car dans sa tentative d’expliquer et de justifier des actes violents et meurtriers, il sous-entend qu’un homme peut être dissocié de ses vices et devenir lui-même une victime de ses actes. Or, cette déresponsabilisation fantaisiste m’a profondément fâchée. Ainsi, ce ne sont pas les choix d’écriture ni les choix narratifs malheureux qui m’ont réellement irritée, mais plutôt l’opinion défendue par l’auteur dans un sujet aussi sensible.
Le roman est suivi d’un postface qui s’apparente à une thèse et qui justifie assez longuement l’écriture de ce roman. Grâce à ce postface, le récit gagne en entendement : on découvre que l’écrivain ne souhaitait pas faire réagir ses lecteurs au sujet des violences envers les femmes, mais plutôt leur faire ressentir l’Insoutenable.
« L’Insoutenable, c’est l’inconcevable pesant sur notre corps. Le mystère pénétrant nos organes. Le flétrissement sans raison de la chair. L’impossible ou le mystérieux, mais lestés de ce poids qui vous fait disparaître.
L’Insoutenable, ce sont encore ces parties de votre esprit qui se laissent écraser, s’effritent, pourrissent et dépérissent – brouillant toute lucidité. Les territoires qu’on laisse de côté parce qu’ils sont malades. Les blessures qu’on sent bourgeonner sans rien pouvoir y faire et dont on espère qu’elles ne gagneront pas l’espace entier. Les nécroses, les parts aveugles, les entailles, les vides, les hontes, les sentiments qui bouillonnent, brûlent et salissent tout ce qu’ils approchent.
Ce sont les choses qu’on aimerait supprimer mais qu’une amputation ne réduirait pas. Les pensées qui vous rendent fou mais dont le raisonnement ne viendrait pas à bout. Les pustules dont il ne faut pas s’occuper sous peine de les voir contaminer votre organisme. Maladie, douleur, rancoeur, remords… La saloperie même de la mort qui entre en vous pour ne plus jamais vous quitter. C’est tout cela mis ensemble, l’Insoutenable, et dans son territoire tout est métaphore de tout, tout lorgne vers tout, tout grimace et finit par éclater dans un rire immense. »
Aymeric Patricot, imprégné de cette sensation insupportable et malsaine, a ressenti le besoin de la porter sur le papier et d’en montrer la puissance destructrice : cette histoire n’est donc qu’une enveloppe, un emballage qui lui a semblé le plus approprié à son projet. Dès lors, non seulement tout est imaginé, mais le récit ne cherche à être plausible : l’auteur ne s’est pas intéressé aux faits ni à leur vraisemblance, mais plutôt à leur source ! Les mots ont donc été modelés pour donner vie à ce sentiment qui gronde en chacun de nous, cette pulsion animale instinctive qui invite à fuir ou à briser ce qui nous agresse. L’Insoutenable, une sensation qui oppresse mais qui n’est autre qu’une alerte créée par un esprit qui s’inquiète de lui-même.
« Aujourd’hui, j’ai du mal à ne pas voir dans l’énergie brute qui s’exprime dans ces pages quelque chose relevant d’une sorte de révolte profonde contre le sort qui nous est échu, contre l’humiliation quotidienne, contre une certaine condition, misérable, dont on ne sait pas trop si elle relève d’un contexte médical, familial, économique ou métaphysique. L’expression d’un cri fondamental, qu’il me paraît indispensable de pousser un jour ou l’autre sous peine de ne jamais avoir pressenti ce fil minimal de conscience révoltée nous permettant de survivre et d’apprécier l’existence dans ce qu’elle a de plus viscéralement sensible. »
Finalement, je crois que l’Insoutenable aurait pu être mieux illustré et avec plus de délicatesse et de finesse. Explorer ce sentiment puissant et qui domine de sa présence tout raisonnement est très intéressant, néanmoins je pense que le choix d’écriture de l’auteur n’est pas le plus judicieux. N’était-ce pas facile de choisir un homme violent malgré lui, qui se délecte à frapper les femmes alors qu’il souhaiterait pouvoir contrôler ses pulsions ? Le texte aurait pu être mieux travaillé, gagner en profondeur et en réflexions et ainsi, mieux illustrer le combat psychologique de cet homme contre ses propres démons. Malheureusement, le récit demeure en surface des questionnements et des sensations, le lecteur ne plonge pas dans la noirceur de cet Insoutenable et ne fait que l’effleurer, de loin. L’homme qui frappait les femmes n’est donc pas à la hauteur des ambitions de son auteur et seul le postface permet de comprendre les intentions originelles de celui-ci. En conclusion, une démarche intéressante mais qui n’est pas menée à son terme.
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Je remercie sincèrement Gilles Paris et son équipe pour la confiance dont ils m’honorent, ainsi que les éditions Léo Scheer pour cette lecture.