Publié aux éditions Albin Michel – Collection littérature française,
Broché, 180 pages – 16,50€ .
Pétronille met en scène Amélie Nothomb qui, non contente de parader sur la couverture de chacun de ses ouvrages, décide de s’octroyer pour cette rentrée littéraire 2014 le privilège d’être également le personnage principal de sa fiction.
L’histoire commence en 1997, alors que les plaisirs de l’ivresse conduisent Amélie à rechercher un(e) camarade de beuverie. Il s’agit de dénicher une personne qui non seulement comprendra son péché mignon, mais surtout acceptera de sombrer dans l’ébriété à ses côtés.
Les années passent sans que son souhait ne se concrétise lorsqu’en 2001, un heureux hasard permet à Amélie de retrouver Pétronille, une étudiante rencontrée quelques années plus tôt lors d’une séance de dédicaces et qui à présent écrit, elle aussi.
Malgré le fossé social qui sépare les jeunes femmes, une complicité semble naître à mesure que coule le champagne et progressivement, au fil de leurs rencontres, une étrange amitié s’installe. Cependant, peut-on réellement connaître une personne au-travers de l’étourdissement que provoque la consommation exagérée d’alcool, aussi délicieux soit-il ?
« Dès la première gorgée, j’ai su que j’avais raison : jamais le champagne n’avait été à ce point exquis. Les trente-six heures de jeûne avaient affûté mes papilles gustatives qui décelaient les moindres saveurs de l’alliage et tressaillaient d’une volupté neuve, d’abord virtuose, bientôt brillante, enfin transie.
J’ai continué courageusement à boire et, à mesure que je vidais la bouteille, j’ai senti que l’expérience changeait de nature : ce que j’atteignais méritait moins le nom d’ivresse que ce que l’on appelle, dans la pompe scientifique d’aujourd’hui, un « état augmenté de conscience ». Un chaman aurait qualifié cela de transe, un toxicomane aurait parlé de trip. J’ai commencé à avoir des visions. »
L’affection que porte Amélie Nothomb au champagne est bien connue, cependant quelle triste surprise que cette apologie de l’ivresse, aussi fade que dénuée d’intérêt.
Prenons tout d’abord les personnages de cette petite histoire. Outre le fait qu’Amélie soit le personnage principal, ce qui associé à la pédanterie de sa plume est particulièrement énervant, il n’y absolument aucune profondeur dans les rapports qu’entretiennent Pétronille et Amélie.
« Il me sembla soudain entrevoir, à la fenêtre d’une habitation trop vite croisée, l’adolescence de Pétronille – la souffrance vraie d’une fillette aux goûts absurdement aristocratiques, acquise aux idéaux d’extrême gauche, mais heurtée par l’esthétique prolétarienne, ces bibelots d’une laideur sans complexe, ces lectures d’une bêtise choquante. »
L’amitié voit le jour artificiellement, alors que le champagne coule à flots. Nulle complicité, nul rire : rien ne semble rapprocher ces deux femmes, sauf le champagne. L’alcool peut-il créer des liens d’affection aussi forts et sincères que l’affirme ce roman ? Au lecteur de croire ou non à cette histoire. Cependant, j’aurais apprécié conclure moi-même à l’amitié de ces deux personnages, or Amélie Nothomb impose cette amitié sans jamais l’étayer, ce qui fait perdre de sa valeur à la narration.
De surcroît, aucun des protagonistes n’est réellement fouillé. On demeure constamment en surface des êtres et des émotions, et ces esquisses de femme ne vivent qu’au-travers de leur rapport à l’alcool – seul lien qui semble avoir été pensé et décrit avec justesse.
C’est donc avec un ennui croissant et le regard morne que je tournais les pages de ce nouvel ouvrage.
« On se tutoie ? Suggéra-t-elle en buvant une gorgée de bière.
-Pourquoi ?
-On a dormi dans le même lit, je vous ai vue en pyjama orange, on mange ensemble du fish and chips. Ça devient bizarre de nous vouvoyer.
-Pour moi, l’unique question est celle-ci : que nous apporterait le tutoiement ?
-Ça va, vous êtes contre.
-Dans cent pour cent des cas, je l’avoue.
-C’est votre éducation.
-Au contraire. Dans ma famille, on tutoie autant que possible. Non, c’est épidermique : le voussoiement me plaît.
-C’est entendu. »
Par le passé, le style sympathique et quelque fois original d’Amélie Nothomb parvenait à me captiver lorsque l’histoire devenait insipide. Malheureusement, Pétronille marque les limites de cette méthode – ou peut-être de l’écrivain elle-même. Nulle finesse dans l’écriture de ce livre : le style est ampoulé, lourd et fatiguant ; de plus, la sensation de lire une autobiographie renforce le sentiment d’antipathie envers l’écrivain dont la vanité n’a d’égal que son amour du champagne.
« -A notre amitié ! Déclarai-je solennellement.
Le roederer avait ce goût que la Russie des tsars attribuait au luxe français : le bonheur me remplit la bouche.
-Pas mal, dit Pétronille.
Je l’observais. Elle partageait mon exaltation. J’appréciais qu’elle ne cherche pas à paraître blasée. (…) J’ai tendance à boire vite, même quand c’est excellent. Ce n’est pas la pire manière de faire honneur. Le champagne ne m’a jamais reproché mon enthousiasme, qui ne correspond absolument pas à un manque d’attention de ma part. Si je bois vite c’est aussi pour ne pas réchauffer l’élixir. Il s’agit également de ne pas le vexer. Que le vin n’est pas l’impression que mon désir manque d’empressement. Boire vite ne signifie pas boire tout rond. Pas plus d’une gorgée à la fois, mais je ne garde pas la merveille longtemps en bouche, je tiens à l’avaler quand son froid me fera encore presque mal. »
En effet, Amélie Nothomb se désire poète et se jette alors avec une assurance déplacée dans l’éloge de l’ivresse, entraînant sa plume dans les artifices du discours bourgeois qu’elle enrichit d’un vocabulaire aussi soutenu que disgracieux.
Bien évidemment, le résultat est médiocre. Amélie Nothomb semble croire que la poésie est le résultat d’une maçonnerie intellectuelle et choisit ainsi d’enrober ses piètres pensées d’une syntaxe recherchée en parfaite adéquation avec son style pataud et sans envergure. Que nous sommes loin de l’élégante simplicité des vrais poètes, dont les pensées se suffisent à elles-même !
Les mots d’Amélie Nothomb, élevés au plus haut de ses capacités d’écrivain, retombent gauchement sur le papier et arrachent, au mieux, des lamentations au lecteur hébété.
Les plus téméraires poursuivront leur lecture jusqu’aux dernières pages et pourront alors savourer l’amertume d’une chute bâclée. Il y a un tel décalage entre l’écriture de ces dernières pages et le reste du roman qu’il semble qu’un collégien soit venu apporter son aide à Amélie Nothomb qui ne devait plus savoir comment terminer ce déplorable manuscrit.
L’immense déception ressentie à la lecture de ces dernières pages prouve, une fois encore, qu’une signature renommée ne suffit pas à faire d’un texte personnel un chef d’œuvre de la littérature française.
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