Ecrit par Jan-Philipp Sendker,
Publié aux éditions JCLattès,
Broché, 320 pages – 19 €.
(Résumé personnel)
Le père de Julia a disparu il y a des années, alors que celle-ci venait d’obtenir son diplôme d’avocate . Quatre années ont passé et Julia a lentement fait son deuil de ce vide. Cependant, un soir, elle découvre une lettre d’amour très tendre qu’avait écrit son père peu de temps avant sa disparition à une certaine Mi Mi, une inconnue. Il y a une adresse inscrite au dos de cette enveloppe fanée, cette femme se trouve quelque part en Birmanie.
Julia pleure des souvenirs refoulés, ferme vainement les yeux sur son chagrin déterré : sa décision est prise, elle doit partir en Birmanie pour tenter de retrouver cette femme. Qu’importe sa carrière et ses obligations, si son père l’attend quelque part.
Le voyage est long, éprouvant. Assise dans une maison de thé rudimentaire du village de Kalaw, Julia subit une chaleur qui l’écrase et l’étouffe, la laissant dégoulinante de sueur sous un essaim de mouches tournoyantes. Un vieillard l’observe avec intensité, puis brusquement se lève et la rejoint. Julia n’a pas le temps de formuler la moindre question, que l’homme se lance dans un long discours. Lorsque enfin il se lève et la salue avant de partir, Julia reste sans bouger, comme vaincue par cette avalanche de mots. Que penser de cet homme de soixante ans, peut-être soixante-dix, qui connaît son prénom, son nom et même ses date et lieu de naissance alors même qu’ils ne se sont jamais croisés ? Faut-il le croire lorsqu’il prétend l’attendre depuis quatre ans, avoir connu son père, l’avoir écouté à cette même table raconter l’histoire de sa vie ? Le discours du vieillard lui semble étrange, difficilement authentique, mais comment pourrait-il savoir autant de chose à son propos si son récit n’était pas véritable? Julia doute, son esprit de New-Yorkaise se rebelle contre la bizarrerie orientale de cet inconnu, l’incitant à la méfiance. Mais que risque-t-elle à écouter une journée de plus le récit d’un vieux Birman ?
« C’est ici que j’ai rencontré votre père et, à vrai dire, il était assis sur votre tabouret quand il m’a raconté son histoire et moi j’étais exactement à l’endroit où je suis aujourd’hui, stupéfait – je dois l’avouer -, incrédule et même désorienté. Jamais encore je n’avais entendu quelqu’un raconter ainsi une histoire. Les mots peuvent-ils avoir des ailes ? Peuvent-ils scintiller dans l’air comme des papillons ? Peuvent-ils nous emporter, captifs, dans un autre monde ? Peuvent-ils ouvrir les ultimes chambres secrètes de notre âme ? Julia, j’ignore si les mots seuls ont la force d’accomplir ces exploits mais ce qu’a dit votre père ce jour-là, on ne l’entend qu’une seule fois dans sa vie. »
Ce roman est une merveille moderne, un récit enchanteur qui se lit avec un vrai plaisir, les yeux brillants du rêve passionné que transportent ces pages.
L’art d’écouter les battements de cœur est un conte d’amour poétique et léger, aussi agréable que la caresse du soleil au mois d’avril. Ce n’est pas un conte de fées car nulle magie, nul être surnaturel, nul artifice ne viennent ponctuer ce doux récit, cependant il est si bien narré, si universel, si plein d’onirisme et de sagesse que l’on ne peut que l’associer à cette littérature reposante que sont les contes. Le conte d’un amour sincère que l’on empêche de croître, le récit d’une tragédie qui éclot en un bonheur éternel.
« Le souffle court, elle sentit la peur s’emparer d’elle, de son âme, de son esprit, de son corps. Son ventre et ses entrailles se contractèrent comme si un géant les tordait à deux mains. De plus en plus fort. Elle ne parvenait plus à respirer. Elle s’entendit gémir. Elle s’entendit supplier. Elle s’entendit implorer. Que ce ne soit pas vrai. »
La plume est délicate et charmante, usant d’un vocabulaire aussi riche que varié pour écrire de belles phrases soignées et imagées, débordantes d’émotions et d’humanité. Passé et présent s’accordent parfois une danse, valsant entre les pages avec douceur et sérénité.
Les personnages sont admirablement racontés, de l’ébauche dessinée avec finesse à la peinture finale, magnifiée par les chemins empruntés par chacun, chaque trait descriptif est adroit et grâcieux. Ce sont des personnages vraisemblables, sincères, victimes des étoiles de leur naissance qui les placent sur un parcours parsemé d’épreuves et de difficultés. S’ils en sortent grandis et plus forts, enfin heureux, c’est grâce à leur archanement, à leur force de volonté ainsi qu’à l’amour immuable qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
Cet ouvrage respire de sagresse, cependant elle n’est pas imposée et s’inscrit naturellement dans la narration, sans lourdeur, presque aérienne, une trace dans un songe.
Minuscule tâche d’encre de ce bel ouvrage, les réactions de Julia peuvent paraître un peu excessive et un soupçon superficielles, mais c’est là le charme du conte d’accentuer les traits forts des personnages pour mieux en caresser les subtilités.
Succès internationnal déjà traduit en ving-cint langues, L’art d’écouter les battements de cœur est un bel ouvrage qui tient ses promesses, une bulle de bonheur à s’offrir et partager sans hésitation.
Je remercie les éditions JCLattès pour ce très beau moment de lecture, ainsi que pour leur confiance.