Ecrit par Eric-Emmanuel Schmitt,
Publié aux éditions Albin Michel,
Broché, 162 pages – 15€.
Le récit s’ouvre sur un e-mail qu’adresse Adam à Louise, son ex-compagne. Insensible à ses regrets, il lui propose l’amitié comme une suite logique à leur passion déçue. Louise ne peut accepter une telle concession et répond aussi sèchement que brièvement – non, leur histoire restera à Paris, appartenant à un passé révolu que sa nouvelle vie à Montréal se chargera de lui faire oublier.
Bien entendu, Adam riposte. Comment, « le sexe demeurerait-il l’unique ticket d’accès » à son intelligence, à sa répartie, à son enthousiasme ? Piquée, Louise ne peut s’empêcher de répondre une nouvelle fois, et ainsi de suite jusqu’à constituer une petite correspondance dont ce roman est le recueil.
« Adam, si l’amitié est le mouroir de l’amour, je hais l’amitié. Louise. »
Sous prétexte d’une amitié plus pure et durable que leur passion amoureuse, ces deux personnages vont donc correspondre gaiement, se racontant mutuellement leurs conquêtes – pour l’un, sexuelles, pour l’autre, amoureuse – tout en philisophant avec esprit au sujet de l’amour et de son rapport au sexe. Cet amour qu’ils n’ont pas su faire durer plus de cinq petites années, les voici à le disséquer et à en faire l’étalage de connaissances.
Ainsi, alors que Louise interroge Adam sur l’existence possible d’un élixir d’amour, Adam lui confie qu’effectivement, il possède la méthode infaillible pour conquérir les dames. Constatant le scepticisme de Louise, Adam décide de lui prouver ses dires en séduisant volontairement une de ses collègues de passage à Paris, déniant les supplications de Louise qui le prie d’abandonner ce jeu aussi vicieux qu’immature. Après tout, qu’a-t-il à perdre à s’amuser un peu ?
« S’il te plait, ne gâche pas nos bons souvenirs par ton désir qu’ils n’en soient pas. »
La première lettre est goûteuse, juteuse de métaphores malicieuses et de phrases écrites avec habileté et intelligence. Ce court roman épistolaire d’Eric-Emmanuel Schmitt s’annonce savoureux, relevé de cet humour pimenté qui amuse l’esprit sans le lasser, et l’on tourne les premières pages avec ardeur, sans se méfier. Et puis, finalement, une heure plus tard, on referme ce petit texte avec déception. Une immense déception, à la hauteur du plaisir qu’annonçait cette première lettre. Hélas, L’élixir d’amour se révèle un texte insipide, creux et dénué d’intérêt. Ô cruel !
L’écriture d’Eric-Emmanuel Schmitt est pourtant toujours aussi soignée et réfléchie, au moins ce pauvre récit se lit-il avec le plaisir des yeux. Le concept de cette histoire d’amour est également intéressant, original même par sa petite pirouette finale : oscillant entre débat philosophique sur l’amour et illustration malicieuse de l’art de la manipulation féminine, les piliers de ce texte sont solides et pertinents et il y a matière à écrire un excellent roman.
Malheureusement, l’essentiel manque à ce texte : sa consistance. Les personnages sont tellement peu étoffés que non seulement on ne peut s’attacher à leur histoire, mais surtout on ne peut croire en leur existence. Ce ne sont que des prénoms vides de sens, dénués de personnalité, pauvres fantômes d’un roman avorté. Leurs e-mails s’enchaînent et se ressemblent, monticules de réflexions philosophiques sur l’amour et les rapports sexuels, ennuyeux débat romancé sans succès dans l’espoir de plaire.
Ce n’est d’ailleurs pas tant ce débat qui lasse, mais plutôt sa mise en scène : les personnages n’adoptent que des tournures de phrase brillantes et adroites, et constamment chaque mot semble calculé, soupesé, méthodique et presque déformé par la volonté de se montrer spirituel.
Chaque lettre est superficielle et surfaite, trop réfléchie ou astucieuse pour paraître sincère ; de fait, il est impossible d’oublier l’auteur qui se tapie dans l’ombre de ses personnages. D’ailleurs ,à bien y réfléchir, ces pauvres êtres de papier ne sont guère plus que des marionnettes à peine esquissées qui permettent à Eric-Emmanuel Schmitt d’offrir au monde ce qui semble être un débat intérieur mûri par le temps.
En définitive, la vraie faiblesse de ce roman est sa longueur. Cent cinquante pages, c’est déjà bien court pour offrir au lecteur des personnages intéressants, dotés d’une personnalité fouillée et d’une vraie matière, c’est assurément trop peu pour donner à réfléchir de surcroît à des éléments de débats sur un thème aussi universel et profond que l’amour.
En conclusion, une pure déception et un roman qui laisse un goût d’inachevé.
Je remercie les éditions Albin Michel pour leur confiance.